dimanche 18 janvier 2015

Qu'es que Gladio - armée secrète de l'OTAN ou encore armée stay behind





Gladio : Les armées secrètes de l'OTAN (III)

Par Daniele Ganser

Historien suisse, spécialiste des relations internationales contemporaines. Il est enseignant à l'Université de Bâle.





Pourquoi l'OTAN, la CIA et le MI6 continuent de nier
par Daniele Ganser*




Alors que l'existence du gouvernement de l'ombre institué par les États-Unis et le Royaume-Uni dans l'ensemble des États alliés est attestée par des enquêtes judiciaires et parlementaires dans les années 80-90, l'OTAN, la CIA et le MI6 continuent à nier. C'est que Washington et Londres n'y voient pas un épisode historique, mais un dispositif actuel (comme l'a montré l'affaire des enlèvements en Europe et des vols secrets durant l'ère Bush). Les armées secrètes de l'OTAN sont toujours couvertes par le secret-Défense, parce qu'elles sont toujours actives.




Avant même sa prise de fonction (le 2 juillet 2009) comme nouveau commandeur suprême de l'OTAN (SACEUR), l'amiral James G. Stavridis s'est discrètement rendu au SHAPE pour rencontrer les chefs des réseaux stay-behind.


Au moment des découvertes sur le réseau Gladio en 1990, l’OTAN, la plus grande alliance militaire du monde, regroupait 16 nations : l’Allemagne, la Belgique, le Canada, le Danemark, l’Espagne, la France, la Grèce, l’Islande, l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni, la Turquie et les États-Unis, ces derniers assumant un rôle de commandement. L’Alliance réagit confusément aux révélations du Premier ministre italien Andreotti et craignit pour son image lorsque les armées stay-behind furent associées à des attentats, des actes de torture, des coups d’États et d’autres opérations terroristes perpétrés dans plusieurs pays d’Europe de l’Ouest.

Le lundi 5 novembre 1990, après un long silence de près d’un mois, l’OTAN nia catégoriquement les allégations d’Andreotti concernant son implication dans l’Opération Gladio et ses liens avec les armées secrètes. Le principal porte-parole de l’Organisation, Jean Marcotta, affirma depuis le quartier général du SHAPE, à Mons, en Belgique, que : « L’OTAN n’a jamais envisagé de recourir à la guérilla ou à des opérations clandestines ; elle s’est toujours occupée de questions exclusivement militaires et de la défense des frontières des pays Alliés [1]. » Puis, le mardi 6 novembre, un autre porte-parole expliqua que le démenti de la veille était faux. Il ne fournit aux journalistes qu’un bref communiqué précisant que l’OTAN ne commentait jamais les questions couvertes par le secret militaire et que Marcotta aurait dû observer le silence [2]. La presse internationale critiqua amèrement ces cafouillages dans la stratégie de relations publiques de l’alliance militaire : « Pendant que de véritables séismes frappent le continent entier, un porte-parole de l’OTAN apporte un démenti : on ignore tout de Gladio et des réseaux stay-behind. Et voici qu’un communiqué laconique vient ensuite démentir le démenti "incorrect" et rien de plus [3] ».

Tandis que la crédibilité de l’OTAN s’ébranlait, les journaux titraient « Une unité clandestine de l’OTAN "soupçonnée de liens avec le terrorisme" » [4]. « Un réseau secret de l’OTAN accusé de subversion : La Commission a découvert que Gladio, le bras armé clandestin de l’OTAN en Italie, était devenu un repaire de fascistes combattant le communisme au moyen d’attentats terroristes visant à justifier un durcissement des lois. » [5] « La bombe qui a explosé à Bologne provenait d’une unité de l’OTAN » [6]. Un diplomate de l’OTAN, qui insista pour conserver l’anonymat, justifia devant des journalistes : « Puisqu’il s’agit d’une organisation secrète, je ne m’attends pas à ce que les réponses abondent, même si la Guerre froide est terminée. S’il y a eu des liens avec des organisations terroristes, ce genre d’informations doit être enterré très profondément. Si ce n’est pas le cas, qu’y a-t-il de mal à préparer le terrain pour la résistance pour le cas où les Soviétiques attaqueraient ? » [7]

Selon la presse espagnole, immédiatement après le fiasco de l’opération de communication des 5 et 6 novembre, le secrétaire général de l’OTAN Manfred Wörner convoqua les ambassadeurs de l’Alliance Atlantique pour une réunion d’information à huis clos sur Gladio, le 7 novembre. Le « Supreme Headquarters Allied Powers Europe ou SHAPE, l’organe de commandement de l’appareil militaire de l’OTAN, coordonnait les actions de Gladio, c’est ce qu’a révélé le secrétaire général Manfred Wörner pendant un entretien avec les ambassadeurs des 16 nations alliées de l’OTAN », put-on lire dans la presse espagnole. « Wörner aurait demandé du temps pour mener une enquête afin de découvrir les raisons du démenti formel » rendu public la veille par l’OTAN. « C’est ce qu’il aurait annoncé aux ambassadeurs du Conseil Atlantique réunis le 7 novembre, si l’on en croit certaines sources. » L’officier le plus haut placé de l’OTAN en Europe, le général états-unien John Galvin, avait confirmé que les allégations de la presse étaient en grande partie fondées, mais que le secret devait être gardé. « Au cours de cette réunion à huis clos, le secrétaire général de l’OTAN a précisé que les gradés interrogés, (il faisait référence au général John Galvin, commandant en chef des forces alliées en Europe), avaient indiqué que le SHARP coordonnait les opérations menées par Gladio. Dorénavant, la politique de l’OTAN sera de refuser tout commentaire sur les secrets officiels. » [8]

Selon des sources qui ont souhaité conserver l’anonymat, le Bureau de Sécurité de l’OTAN aurait été directement impliqué dans l’Opération Gladio [9]. Hébergé au quartier général de l’OTAN à Bruxelles, le mystérieux Bureau de Sécurité fait partie intégrante de l’OTAN depuis la création de l’Alliance en 1949. Sa mission consiste à coordonner, superviser et appliquer les politiques de sécurité de l’OTAN. Le directeur de la Sécurité est le principal conseiller du secrétaire général pour les questions de sécurité ; il dirige le Service de Sécurité du quartier général et est responsable de la coordination générale de la sécurité au sein de l’OTAN. Mais surtout, il est le président du Comité de Sécurité de l’Alliance qui réunit régulièrement les chefs des Services de Sécurité des pays membres pour discuter des questions d’espionnage, de terrorisme, de subversion et d’autres menaces, parmi lesquelles le communisme en Europe de l’Ouest, qui pourraient représenter un danger pour l’OTAN.

En Allemagne, le chercheur Erich Schmidt Eenboom rapporta que les patrons des services secrets de plusieurs pays d’Europe occidentale, et notamment de l’Espagne, de la France, de la Belgique, de l’Italie, de la Norvège, du Luxembourg et du Royaume-Uni, s’étaient réunis plusieurs fois à la fin de l’année 1990, et ce, afin d’élaborer une stratégie de désinformation pour contrer les nombreuses révélations sur Gladio [10]. Ces réunions se déroulèrent vraisemblablement au très secret Bureau de Sécurité. « Le fait que les structures clandestines de Gladio aient été coordonnées par un comité de sécurité international composé uniquement de représentants des services secrets », remarque le quotidien portugais Expresso, « pose un autre problème : celui de la souveraineté nationale de chacun des États ». Durant la Guerre froide, certains services de renseignement agissaient hors de tout cadre démocratique. « Il semble que plusieurs gouvernements européens aient perdu le contrôle de leurs services secrets » tandis que l’OTAN entretenait, elle, des liens très étroits avec les services secrets militaires de chacun des États membres. « Il paraît évident que l’OTAN applique un principe de confiance restreinte. Selon cette doctrine, certains gouvernements ne luttant pas assez activement contre le communisme, il est donc inutile de les informer des activités de l’armée secrète de l’OTAN. » [11].

Sous le titre « Manfred Wörner raconte le Gladio », la presse portugaise publia des détails supplémentaires sur la réunion du 7 novembre. « Le secrétaire général de l’OTAN, l’Allemand Manfred Wörner a expliqué aux ambassadeurs des 16 pays alliés de l’OTAN la fonction du réseau secret - qui fut créé dans les années cinquante afin d’organiser la résistance dans l’éventualité d’une invasion soviétique. » Derrière des portes closes, « Wörner a confirmé que le commandement militaire des forces alliées, le Supreme Headquarters Allied Powers Europe (SHAPE), coordonne les activités du 'Réseau Gladio', mis sur pied par les services secrets des différents pays de l’OTAN, par l’intermédiaire d’un comité créé en 1952 et actuellement présidé par le général Raymond Van Calster, chef des services secrets militaires belges », on apprit plus tard qu’il s’agissait de l’ACC. D’après le journal, « la structure a été bâtie en Italie avant 1947, puis des réseaux similaires ont été créés en France, en Belgique, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, au Luxembourg, au Danemark, en Norvège et en Grèce ». « Le secrétaire général a également reconnu que le SHAPE avait fourni de "fausses informations" en niant l’existence d’un tel réseau secret, mais il a refusé de s’expliquer sur les nombreuses contradictions dans lesquelles les différents gouvernements s’étaient englués en confirmant ou niant la réalité des réseaux Gladio dans leurs pays respectifs ». [12]

Au milieu de la tourmente, la presse tenta à plusieurs reprises d’obtenir une explication ou, ne serait-ce qu’un commentaire, de la plus haute autorité civile de l’OTAN, le secrétaire général de l’OTAN Manfred Wörner. Mais, conformément à la politique de l’Alliance qui consistait à ne pas se prononcer sur les secrets militaires, Wörner rejeta toutes les demandes d’interviews [13]. Le terme « secrets militaires » focalisa l’attention des journalistes qui se mirent en quête d’anciens responsables de l’OTAN à la retraite susceptibles de s’exprimer plus librement sur toute l’affaire. Joseph Luns, un ancien diplomate de 79 ans, qui avait occupé les fonctions de secrétaire général de l’OTAN de 1971 à 1984 accorda un entretien téléphonique à des reporters depuis son appartement de Bruxelles. Il prétendit n’avoir jamais été informé de l’existence du réseau secret jusqu’à ce qu’il l’ait récemment lue dans la presse : « Je n’en ai jamais entendu parler et pourtant j’ai exercé quelques responsabilités au sein de l’OTAN ». Luns admit toutefois avoir été briefé « ponctuellement » à l’occasion d’opérations spéciales et estima « peu probable mais pas impossible » que Gladio ait pu exister à son insu [14].

« Le seul organisme international qui ait jamais fonctionné, c’est l’OTAN, tout simplement parce qu’il s’agit d’une alliance militaire et que nous étions aux commandes », répondit un jour le président états-unien Richard Nixon [15]. Il faisait remarquer à juste titre que, bien que l’OTAN ait son siège européen en Belgique, son véritable quartier général se trouve au Pentagone, à Washington. Depuis la création de l’Alliance Atlantique, le commandant en chef de la zone Europe, le SACEUR (Supreme Allied Commander Europe), exerçant ses fonctions depuis son quartier général, le SHAPE, établi à Casteau, en Belgique, avait toujours été un général états-unien. Les Européens pouvaient, quant à eux, nommer le plus haut responsable civil, le secrétaire général. Mais depuis la nomination du général Dwight Eisenhower comme premier SACEUR, la plus haute fonction militaire en Europe fut systématiquement occupée par des officiers états-uniens [16]

Officier de la CIA à la retraite, Thomas Polgar confirma, après la découverte des armées secrètes d’Europe de l’Ouest, que celles-ci étaient coordonnées par « une sorte de groupe de planification de guerre non conventionnelle » lié à l’OTAN [17]. Ses propos furent confirmés par la presse allemande qui souligna que, durant toute la période de la Guerre froide, ce département secret de l’OTAN était demeuré sous domination états-unienne. « Les missions des armées secrètes sont coordonnées par la 'Section des Forces Spéciales', située dans une aile du quartier général de l’OTAN à Casteau placée sous haute surveillance », relata un journal allemand. « Une porte grise en acier qui s’ouvre comme un coffre-fort de banque et protégée par une combinaison chiffrée, défend l’accès à toute personne non autorisée. Les officiers des autres départements, qui sont invités à y entrer, doivent dès l’entrée se présenter à un guichet sombre où ils sont contrôlés. La Section des Forces Spéciales est dirigée par des officiers britanniques ou états-uniens exclusivement et la plupart des documents qui y circulent portent l’inscription 'American eyes only' (À l’intention du personnel US uniquement) » [18].

Pour contrer l’influence des partis communistes dans certains pays d’Europe de l’Ouest, l’OTAN s’était livrée, dès sa création au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, à une guerre secrète non conventionnelle. D’après les découvertes de l’enquête parlementaire belge sur Gladio, cette lutte aurait même été engagée avant la fondation de l’Alliance, et coordonnée dès 1948 par le "Clandestine Committee of the Western Union" (CCWU), le Comité Clandestin de l’Union Occidentale. Selon la presse, toutes les « nations [participant à Gladio] étaient membres du CCWU et assistaient régulièrement à des réunions par l’intermédiaire d’un représentant de leurs services secrets. Ceux-ci étaient généralement en contact direct avec les structures stay-behind » [19].

Quand, en 1949, fut signé le Traité de l’Atlantique Nord, le CCWU fut secrètement intégré au nouvel appareil militaire international et opéra à partir de 1951 sous la nouvelle appellation CPC. À cette époque, le quartier général européen de l’OTAN était situé en France et le CPC avait son siège à Paris. Comme le CCWU avant lui, le Comité assurait la planification, la préparation et la direction des opérations de guerre non conventionnelle menées par les armées stay-behind et les Forces Spéciales. Seuls les officiers disposant des autorisations de niveau supérieur étaient autorisés à pénétrer au siège du CPC où, sous la surveillance des experts de la CIA et du MI6, les chefs des services secrets des États d’Europe occidentale se réunissaient plusieurs fois dans l’année afin de coordonner les opérations de guerre clandestine menées dans tout l’Ouest du continent.

Lorsqu’en 1966 le président de la République Française Charles de Gaulle chassa l’OTAN de France, le quartier général européen de l’Alliance militaire dut, à la colère du président des États-Unis Lyndon Johnson, déménager de Paris à Bruxelles. Dans le plus grand secret, le CPC s’installa lui aussi en Belgique, comme le révéla l’enquête sur le Gladio belge [20]. L’expulsion historique de l’OTAN du territoire français offrit alors un premier véritable aperçu des noirs secrets de l’Alliance militaire. Pour le spécialiste des opérations secrètes Philip Willan : « L’existence de protocoles secrets de l’OTAN impliquant les services secrets des pays signataires et visant à éviter l’accession au pouvoir par les communistes fut divulguée pour la première fois en 1966, quand le président de Gaulle décida de se retirer du commandement conjoint de l’OTAN et dénonça ces protocoles comme une atteinte à la souveraineté nationale » [21].

Si les documents originaux des protocoles anticommunistes secrets de l’OTAN demeurent confidentiels, les spéculations sur leur contenu ne cessèrent de se multiplier suite à la découverte des armées secrètes stay-behind. Dans un article consacré à Gladio, le journaliste américain Arthur Rowse écrivit qu’une « clause secrète du traité initial de l’OTAN de 1949 stipulait que tout pays candidat à l’adhésion devait avoir établi au préalable une autorité de Sécurité nationale chargée d’encadrer la lutte contre le communisme par des groupes clandestins de citoyens » [22]. Un spécialiste italien des services secrets et des opérations clandestines, Giuseppe de Lutiis, découvrit qu’au moment d’intégrer l’OTAN en 1949, l’Italie signa, outre le Pacte Atlantique, une série de protocoles secrets prévoyant la création d’une organisation non officielle « chargée de garantir l’alignement de la politique intérieure italienne sur celle du bloc de l’Ouest par tous les moyens nécessaires, même si la population devait manifester une inclination divergente » [23]. L’historien italien spécialiste du Gladio Mario Coglitore a également confirmé l’existence de ces protocoles secrets de l’OTAN [24]. Suite aux révélations de 1990, un ancien officier du renseignement de l’OTAN, qui veilla à conserver l’anonymat, alla jusqu’à affirmer que ces documents protégeaient explicitement les membres de l’extrême droite jugés utiles dans la lutte contre les communistes. Le président des États-Unis Truman et le chancelier allemand Adenauer auraient « signé un protocole secret lors de l’adhésion de la RFA à l’OTAN en 1955, dans lequel il était convenu que les autorités de l’Allemagne de l’Ouest s’abstiendraient d’entamer des poursuites à l’encontre des extrémistes de droite reconnus » [25].

Le général italien Paolo Inzerilli, qui commanda le Gladio dans son pays de 1974 à 1986, souligna que les « Américains omniprésents » contrôlaient le CPC secret qui était en charge de la coordination de la guerre clandestine. Selon lui, le Comité avait été fondé « sur ordre du commandant en chef de l’OTAN en Europe. Il constituait l’intermédiaire entre le SHAPE, le quartier général des puissances alliées d’Europe, et les services secrets des États membres pour les question de guerre non conventionnelle » [26]. Les États-Unis contrôlaient le CPC avec leurs vassaux britanniques et français et constituaient avec eux une "Commission Exécutive" au sein du Comité. « Les réunions se succédaient au rythme d’une ou deux par an au quartier général du CPC, à Bruxelles, et les questions à l’ordre du jour étaient débattues entre la 'Commission Exécutive' et les responsables militaires », témoigna Inzirelli [27].

« La coordination des actions de notre réseau stay-behind avec celles des structures clandestines analogues en Europe était assurée par le CPC, le Coordination and Planning Committee [Comité de Planification et de Coordination] du SHAPE, le quartier général des puissances alliées d’Europe », décrivit le général italien Gerardo Serravalle. Prédécesseur du général Inzirelli, il avait commandé le Gladio en Italie entre 1971 et 1974 ; il raconta que « pendant les années soixante-dix, les membres du CPC étaient les officiers responsables des structures secrètes de la Grande-Bretagne, de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, du Luxembourg, des Pays-Bas et de l’Italie. Ces représentants des réseaux clandestins se réunissaient chaque année dans l’une des capitales européennes » [28]. Des hauts responsables de la CIA assistaient à chacune de ces réunions. « Des représentants de la CIA étaient toujours présents aux réunions des armées stay-behind », se souvient Serravalle. « Ils appartenaient à l’antenne de l’Agence de la capitale où se déroulait la réunion et ne participaient pas aux votes » [[Ibid., p.79. ]]. « La 'Directive SHAPE' faisait office de référence officielle, si ce n’est de doctrine pour les réseaux stay-behind alliés », explique Serravalle dans son livre consacré à Gladio. Il précise également que les enregistrements du CPC, qu’il a pu consulter mais qui demeurent confidentiels, « portent [surtout] sur l’entraînement des Gladiateurs en Europe, sur comment les réveiller depuis le quartier général secret en cas d’occupation de l’ensemble du territoire national et sur d’autres questions techniques telles que, pour citer la plus importante, l’unification des différents systèmes de communication entre les bases stay-behind » [29].

Parallèlement au CPC, un second poste de commandement secret fonctionnant comme un quartier général stay-behind fut créé par l’OTAN au début des années cinquante sous le nom d’ACC. Comme le CPC, l’ACC était en lien direct avec le SACEUR, lui-même sous contrôle états-unien. D’après les conclusions de l’enquête belge sur Gladio, l’ACC aurait été créé en 1957 et chargé de « la coordination des réseaux 'stay-behind' en Belgique, au Danemark, en France, en Allemagne, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas, en Norvège, au Royaume-Uni et aux USA ». Selon le rapport d’enquête belge, en temps de paix, les fonctions de l’ACC « comprenaient l’élaboration de directives à l’intention du réseau, le développement de ses capacités secrètes et l’établissement de bases au Royaume-Uni et aux USA. Dans le cas d’une guerre, il était censé préparer des actions stay-behind conjointement avec le SHAPE ; de là, les organisateurs devaient alors activer les bases clandestines et préparer les opérations » [30].

Le commandant du Gladio italien Inzirelli affirme que « les relations au sein de l’ACC étaient totalement différentes » de celles existant au CPC. « L’atmosphère [y] était clairement plus décontractée et amicale qu’au CPC. » L’ACC, fondé sur « un ordre express du SACEUR au CPC » serait « devenue une ramification » de celui-ci [31]. Il semble que cet organisme ait servi surtout de forum où l’on se partageait le savoir-faire Gladio entre patrons de services secrets : « L’ACC était un comité essentiellement technique, un forum où l’on pouvait à loisir échanger des informations et des expériences, évoquer les moyens disponibles ou à l’étude, partager ses connaissances sur les réseaux, etc... » Le général Inzerilli se souvient : « C’était un échange de bons procédés. Chacun savait que s’il lui manquait un expert en explosifs, en télécommunication ou en répression pour une opération, il pouvait sans problème s’adresser à un confrère étranger puisque les agents avaient reçu le même entraînement et utilisaient le même type de matériel » [32].

Les transmetteurs radio baptisés Harpoon figuraient notamment dans l’équipement de tous les membres de l’ACC. Ils avaient été conçus et fabriqués sur ordre du comité de direction de Gladio, au milieu des années 1980, par la firme allemande AEG Telefunken pour un montant total de 130 millions de marks, en remplacement d’un ancien système de communication devenu obsolète. Le système Harpoon était capable d’émettre et de recevoir des messages radio cryptés sur une distance de 6 000 km et permettaient donc les communications entre les réseaux stay-behind situés de part et d’autre de l’Atlantique. « Le seul équipement qu’ont en commun tous les membres de l’ACC est le fameux transmetteur radio Harpoon », révéla Van Ussel, un membre du Gladio belge qui s’en était lui-même servi au cours des années 1980, alors qu’il était un membre actif de l’organisation. Selon lui, « ce système était régulièrement utilisé pour transmettre des messages entre les bases et les agents (en particulier lors des exercices de communication radio), mais il était avant tout destiné à communiquer des renseignements en cas d’occupation » [33]. L’ACC disposait de bases dans tous les pays européens dont une au Royaume-Uni, à partir desquelles les unités présentes dans les territoires occupés pourraient être activées et commandées. Apparemment, l’ACC éditait à l’intention des Gladiateurs des manuels indiquant les procédures communes à suivre relatives aux actions clandestines, aux communications radio basées sur le cryptage et le saut de fréquence mais aussi aux largages aériens et aux atterrissages.

L’ACC fonctionnait avec une présidence tournante d’une période de deux ans, en 1990 celle-ci était assumée par la Belgique. La réunion de l’ACC des 23 et 24 novembre se déroula sous la présidence du général de division Raymond Van Calster, patron du SGR, les services secrets militaires belges. Le général Inzerilli se souvint que « contrairement au CPC, l’ACC n’avait pas de direction établie et permanente. La présidence du Comité était assumée pour deux ans et tournait entre tous les membres, en suivant l’ordre alphabétique », pour cette raison, l’ACC n’était pas soumis à « la même domination des grandes puissances ». Inzirelli affirma avoir préféré travailler à l’ACC plutôt qu’au CPC contrôlé par les États-uniens : « Je dois reconnaître, pour l’avoir moi-même présidé pendant deux ans, que l’ACC était un comité véritablement démocratique » [34].

Dans le cadre de toute recherche approfondie sur l’Opération Gladio et les réseaux stay-behind de l’OTAN, les transcriptions et enregistrements des réunions du CPC et de l’ACC s’imposent comme des sources essentielles. Hélas, alors que des années se sont écoulées depuis la découverte du réseau top secret, les autorités de l’OTAN se bornent, comme en 1990, à opposer constamment aux sollicitations du public le silence ou le refus. Quand dans le cadre de nos propres recherches, nous contactâmes, à l’été 2000, le service des archives de l’OTAN pour demander l’accès à des informations supplémentaires sur Gladio et notamment sur le CPC et l’ACC, nous reçûmes la réponse suivante : « Après vérification de nos archives, il n’existe aucune trace des comités que vous évoquez ». Lorsque nous insistâmes, le service des archives nous répondit : « Je vous confirme une nouvelle fois que les comités dont vous parlez n’ont jamais existé au sein de l’OTAN. En outre, l’organisation que vous appelez 'Gladio' n’a jamais fait partie de la structure militaire de l’OTAN » [35]. Sur quoi, nous appelâmes le Bureau de Sécurité de l’OTAN, mais ne pûmes ni parler au directeur ni même connaître son identité classée 'confidentielle'. Mme Isabelle Jacobs nous informa qu’il était hautement improbable que nous obtenions jamais des réponses à nos questions sur un sujet sensible comme Gladio et nous conseilla de transmettre notre requête par écrit via l’ambassade de notre pays d’origine.

C’est ainsi qu’après que la Mission Suisse d’Observation à Bruxelles eut transmis à l’OTAN nos questions relatives à l’affaire Gladio, l’ambassadeur de Suisse Anton Thalmann nous répondit qu’à son grand regret : « L’existence des comités secrets de l’OTAN que vous mentionnez dans votre lettre n’est connue ni de moi, ni de mon personnel » [36]. « Quel est le lien entre l’OTAN et le Clandestine Planning Committee (CPC) et le Allied Clandestine Committee (ACC) ? Quel est le rôle du CPC et de l’ACC ? Quel est le lien entre le CPC, l’ACC et le Bureau de Sécurité de l’OTAN ? », telles étaient nos questions : le 2 mai 2001, nous reçûmes une réponse de Lee McClenny, directeur du service de presse et de communication de l’OTAN. Dans sa lettre, McClenny prétendait que « Ni le Allied Clandestine Committee, ni le Clandestine Planning Committee n’apparaissent dans toute la documentation de l’OTAN, confidentielle ou non, que j’ai consultée. » Il ajoutait : « En outre, je n’ai pu rencontrer personne travaillant ici qui ait eu entendu parler de l’un ou l’autre de ces deux comités. J’ignore si de tels comités ont un jour existé à l’OTAN, ce qui est sûr c’est que ce n’est pas le cas aujourd’hui » [37]. Nous insistâmes une fois encore et demandâmes : « Pourquoi le porte-parole de l’OTAN Jean Marcotta a-t-il, le 5 novembre 1990, catégoriquement nié tout lien entre l’OTAN et Gladio pour voir ses propos démentis deux jours plus tard par un second communiqué ? », ce à quoi Lee McClenny rétorqua : « Je ne suis pas au courant de l’existence de liens entre l’OTAN et l’Opération Gladio'. De plus, je ne trouve personne du nom de Jean Marcotta parmi la liste des porte-parole de l’OTAN » [38]. Le mystère restait entier.

La CIA, l’Agence de renseignement la plus puissante du monde, ne fut pas plus coopérative que la plus grande alliance militaire du monde quand il s’agit d’aborder la délicate question de Gladio et des armées stay-behind. Fondée en 1947, deux ans avant la création de l’OTAN, la CIA eut pour principale tâche pendant la Guerre froide de combattre le communisme sur toute la planète en menant des opérations secrètes qui visaient à étendre l’influence des États-Unis. « Par actions clandestines », le président Nixon indiqua un jour qu’il entendait « ces activités qui, bien qu’elles soient destinées à favoriser les programmes et politiques des États-Unis à l’étranger, sont planifiées et exécutées de telle sorte que le public n’y voit pas la main du gouvernement américain » [39]. Historiens et analystes politiques ont depuis décrit en détail comment la CIA et les Forces Spéciales états-uniennes ont, au moyen de guerre secrètes et non déclarées, influencé l’évolution politique et militaire de nombreux pays d’Amérique latine ; parmi les faits les plus marquants, on peut citer le renversement du président guatémaltèque Jakobo Arbenz en 1954, le débarquement raté de la baie des Cochons en 1961, qui devait amener à la destitution de Fidel Castro, l’assassinat d’Ernesto Che Guevara en Bolivie en 1967, le coup d’État contre le président chilien Salvador Allende et l’installation au pouvoir du dictateur Augusto Pinochet en 1973, ou encore le financement des Contras au Nicaragua, suite à la révolution sandiniste de 1979. [40]

Outre ses agissements sur le continent sud-américain, la CIA est également intervenue à de nombreuses reprises en Asie et en Afrique, notamment pour renverser le gouvernement de Mossadegh en Iran en 1953, pour soutenir la politique d’Apartheid en Afrique du Sud, ce qui conduisit à l’emprisonnement de Nelson Mandela, pour assister ben Laden et al-Qaida en Afghanistan, lors de l’invasion soviétique de 1979 et pour appuyer le leader Khmer Rouge Pol Pot depuis des bases conservées au Cambodge, après la défaite états-unienne au Vietnam en 1975. D’un point de vue purement technique, le département des opérations secrètes de la CIA correspond à la définition d’une organisation terroriste donnée par le FBI. Le "terrorisme" est, selon le FBI, « l’usage illégal de la force ou de la violence contre des personnes ou des biens dans le but d’intimider ou de contraindre un gouvernement, une population civile, ou un segment de celle-ci, à poursuivre certains objectifs politiques ou sociaux » [41].

Quand, au milieu des années soixante-dix, le Congrès des États-Unis découvrit que la CIA et le Pentagone avaient étendu leurs pouvoirs presque au-delà de tout contrôle et l’avaient outrepassé en de nombreuses occasions, le sénateur états-unien Frank Church fit avec assez de clairvoyance ce commentaire : « La multiplication des abus commis par nos services de renseignement révèle un échec plus général de nos institutions fondamentales ». Il présidait alors l’une des trois commissions du Congrès qui furent chargées d’enquêter sur les agissements des services secrets US, et dont les rapports, présentés dans la seconde moitié des années soixante-dix, font aujourd’hui encore autorité sur la question des guerres secrètes menées par Washington [42] Cependant, les investigations du Congrès n’eurent qu’un impact limité et les services secrets continuèrent, avec l’appui de la Maison-Blanche, à abuser de leur pouvoir, comme le démontra le scandale de l’Irangate en 1986. Cela amena l’historienne Kathryn Olmsted à se poser cette « question cruciale » : « Pourquoi, après avoir débuté leur enquête, la plupart des journalistes et des membres du Congrès ont-ils renoncé à défier le gouvernement secret ? » [43]

Alors qu’aux États-Unis se poursuit le débat sur l’existence ou non d’un « gouvernement de l’ombre », le phénomène Gladio prouve que la CIA et le Pentagone ont opéré à plusieurs reprises hors de tout contrôle démocratique pendant la Guerre froide mais également après l’effondrement du communisme et ce, sans jamais rendre compte de leurs agissements. Lors d’une interview accordée à la télévision italienne en décembre 1990, l’amiral Stansfield Turner, directeur de la CIA de 1977 à 1981, refusa catégoriquement d’évoquer l’affaire Gladio. Quand les journalistes, qui avaient à l’esprit le grand nombre de victimes des nombreux attentats perpétrés en Italie, se permirent d’insister, l’ex-patron de la CIA arracha furieusement son micro et hurla : « J’ai dit : pas de questions sur Gladio ! », mettant ainsi un terme à l’entretien [44]

D’anciens officiers de la CIA moins gradés acceptèrent plus volontiers d’évoquer les secrets de la Guerre froide et les opérations illégales de l’Agence. Parmi eux, Thomas Polgar, qui prit sa retraite en 1981 après 30 ans de bons et loyaux services. En 1991, il avait témoigné contre la nomination de Robert Gates à la tête de la CIA, reprochant à celui-ci d’avoir couvert le scandale de l’Irangate. Interrogé sur les armées secrètes d’Europe, Polgar expliqua, en se référant implicitement au CPC et à l’ACC, que les programmes stay-behind étaient coordonnés par « une sorte de groupe de planification de guerre non conventionnelle lié à l’OTAN ». Dans leurs quartiers généraux secrets, les chefs des armées secrètes nationales « se rencontraient tous les deux ou trois mois, à chaque fois dans une capitale différente ». Polgar souligne que « chaque service national le faisait avec plus ou moins de zèle » tout en admettant que « dans les années soixante-dix en Italie, certains sont allés même plus loin que l’exigeait la charte de l’OTAN » [45]. Le journaliste Arthur Rowse, ancien collaborateur du Washington Post, tira, dans un essai consacré au sujet « Les leçons de Gladio » : « Aussi longtemps que le peuple états-unien ignorera tout de ce sombre chapitre des relations étrangères des USA, cela n’incitera pas véritablement les agences responsables de cette situation à changer de comportement. La fin de la Guerre froide n’a changé que très peu de choses à Washington. Les États-Unis (...) attendent toujours avec impatience un vrai débat national sur les moyens, les buts, et les coûts de nos politiques fédérales de sécurité. » [46].

Spécialisés dans l’étude des opérations clandestines de la CIA et des secrets de la Guerre froide, les chercheurs de l’institut de recherches privé et indépendant National Security Archive de l’université George Washington à Washington ont déposé une requête basée sur le Freedom of Information Act (FOIA) auprès de la CIA, le 15 avril 1991. D’après les termes de cette loi sur la liberté d’information, tous les services du gouvernement doivent justifier devant le peuple de la légalité de leurs actions. Malcolm Byrne, vice-directeur de recherche au National Security Archive, demandait à la CIA l’accès à « toutes les archives concernant (...) les décisions du gouvernement états-unien, probablement prises entre 1951 et 1955, concernant le financement, le soutien ou la collaboration avec toute armée secrète, tout réseau ou toute autre unité, créé dans le but de résister à une possible invasion de l’Europe de l’Ouest par des puissances sous domination communiste ou de mener des opérations de guérilla dans des pays d’Europe occidentale dans l’hypothèse où ceux-ci seraient sous l’emprise de partis ou de régimes communistes, de gauche ou soutenus par l’Union soviétique ». Byrne ajoutait : « Je vous prie d’inclure à vos recherches tout document se rapportant à des activités connues sous le nom d’"Opération Gladio", en particulier en France, en Allemagne et en Italie » [47].

Byrne précisait à juste titre que « tous les documents obtenus suite à cette requête contribueront à faire connaître au public la politique étrangère des États-Unis au cours de la période qui suivit la Seconde Guerre mondiale, ainsi que l’impact de la connaissance, de l’analyse et de l’acquisition du renseignement dans la politique états-unienne de l’époque ». Mais la CIA refusa de coopérer et, le 18 juin 1991, elle fournit la réponse suivante : « La CIA ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence ou l’inexistence d’archives répondant aux critères de votre requête ». Quand Byrne tenta de contester le refus de l’Agence de lui fournir des informations sur Gladio, il fut débouté. La Centrale fonda son refus de coopérer sur deux exceptions "fourre-tout" à la loi sur la liberté d’information qui excluent les documents soit parce qu’ils sont « classés "confidentiel" conformément à une décision de l’Exécutif dans l’intérêt de la Défense nationale ou de la politique étrangère » (Exemption B1), soit au nom des « obligations statutaires du directeur de protéger la confidentialité des sources et méthodes de renseignement, telles que l’organisation, les fonctions, noms, titres officiels, revenus et nombre des employés de l’Agence, conformément aux National Security Act de 1947 et CIA Act de 1949 » (Exemption B3).

Quand les responsables européens tentèrent de se confronter au gouvernement secret, ils n’eurent guère plus de chance. En mars 1995, une commission du Sénat italien présidée par Giovanni Pellegrino qui avait mené une enquête sur Gladio et sur les attentats commis en Italie adressa une requête FOIA à la CIA. Les sénateurs italiens demandaient l’accès à toutes les archives relatives aux Brigades Rouges et à l’affaire Moro afin de découvrir si la CIA avait, dans le cadre du programme d’immixtion dans les affaires politiques internes du pays, infiltré le groupe terroriste d’extrême gauche avant qu’ils n’assassinent l’ancien Premier ministre et leader de la DCI Aldo Moro en 1978. Refusant de coopérer, l’Agence s’abrita derrière les clauses B1 et B3 et refusa, en mai 1995, tous les accès demandés en ajoutant que ça ne « confirmait ni n’infirmait l’existence ou l’inexistence dans les archives de la CIA des documents recherchés ». La presse italienne souligna le caractère embarrassant de ce refus et titra : « La CIA rejette la demande d’assistance de la Commission parlementaire. L’enlèvement de Moro, un secret d’État aux USA » [48].

La seconde demande de renseignements relatifs à Gladio émanant d’un gouvernement européen fut adressée à la CIA par le gouvernement autrichien en janvier 2006, après que des caches d’armes 'top secrètes' aménagées par l’Agence à l’intention de Gladio aient été découvertes dans les alpages et les forêts du pays pourtant neutre. Des représentants du gouvernement américain répondirent que les États-Unis couvriraient les frais occasionnés par l’exhumation et la récupération de l’équipement des réseaux [49]. L’enquête autrichienne fut menée par les services du ministre de l’Intérieur Mickael Sika qui livra son rapport final sur les dépôts de munition de la CIA le 28 novembre 1997 en déclarant : « On ne peut établir aucune certitude quant aux caches d’armes et à l’usage auxquelles elles étaient destinées ». En conséquence de quoi : « Afin de faire toute la lumière sur cette affaire, il serait nécessaire de disposer des documents s’y rapportant, et notamment ceux abrités aux États-Unis » [50]. Un membre de la Commission, Oliver Rathkolb de l’université de Vienne, déposa donc une requête en FOIA dans le but d’obtenir l’accès aux archives de la CIA. Mais en 1997, le comité de divulgation de l’Agence opposa un nouveau refus motivé par les mêmes exemptions B1 et B3 qui laissa aux Autrichiens l’amère impression que l’agence américaine n’était tenue de rendre des comptes auprès de personne.

Étant donné que c’est là l’unique moyen d’accéder aux archives relatives à Gladio, nous déposâmes le 14 décembre 2000 une requête en FOIA auprès de la CIA. Deux semaines plus tard, nous reçûmes une réponse évasive à notre demande « se rapportant à l’"Opération Gladio" » : « La CIA ne peut ni confirmer ni infirmer l’existence ou l’inexistence de documents correspondant à votre requête ». En invoquant les clauses restrictives B1 et B3, la coordinatrice chargée de l’information et des questions de respect de la vie privée Kathryn I. Dyer nous refusa l’accès aux informations sur l’Opération Gladio [51]. Nous fîmes appel de cette décision en rétorquant que : « Les documents retenus doivent être publiés en vertu de la loi FOIA sur la liberté d’expression car les clauses B1 et B3 ne peuvent s’appliquer qu’à des opérations de la CIA encore tenues secrètes ». En produisant les données recueillies au cours de nos recherches, nous prouvâmes que ce n’était plus le cas et conclûmes : « Si vous, Mme Dyer, invoquez les clauses restrictives B1 et B3 dans ce contexte, vous privez la CIA de la possibilité de s’exprimer sur des informations relatives à l’affaire Gladio, qui seront de toute façon révélées, que la CIA décide d’intervenir ou non » [52].

En février 2001, l’Agence nous répondit : « Votre appel a été accepté et des dispositions seront prises pour qu’il soit examiné par les membres du comité de divulgation de l’Agence. Vous serez informé de la décision rendue. » Dans le même temps, la CIA précisa que cette commission traitait les demandes en fonctions de leur date de dépôt et que « en ce moment, nous avons à examiner environ 315 appels » [53]. Notre requête portant sur le réseau Gladio fut ainsi mise en attente et rangée en bas de la pile. Au moment de la rédaction de cet ouvrage, la commission n’avait toujours pas rendu son avis [54].

Après l’OTAN et la CIA, la troisième principale organisation impliquée dans l’opération stay-behind était le MI6. Celui-ci ne prit pas position sur l’affaire Gladio en 1990 en raison d’une légendaire obsession du secret, l’existence de cette Agence elle-même ne fut officiellement admise qu’en 1994, avec la publication de l’Intelligence Services Act qui établit que l’organisation avait pour missions d’obtenir du renseignement et d’exécuter des opérations secrètes à l’étranger.

Tandis que l’exécutif britannique et le MI6 se refusaient à tout commentaire, Rupert Allason, membre du parti conservateur, rédacteur de l’Intelligence Quarterly Magazine sous le pseudonyme de Nigel West et auteur de plusieurs ouvrages sur les services de sécurité britanniques, confirma, en novembre 1990, au plus fort du scandale Gladio, lors d’un entretien téléphonique accordé à Associated Press : « Nous étions, et sommes toujours, fortement impliqués (...) dans ces réseaux ». West expliqua que la Grande-Bretagne « a bien entendu participé, aux côtés des États-uniens, au financement et au commandement » de plusieurs réseaux et qu’elle était également engagée dans le cadre de la collaboration entre le MI6 et la CIA : « Ce sont les agences de renseignement britanniques et états-uniennes qui sont à l’origine du projet ». West affirma qu’à partir de 1949, l’action des armées stay-behind avait été coordonnées par la Structure de Commandement et de Contrôle des Forces Spéciales de l’OTAN au sein desquelles le Special Air Service (SAS) jouait un rôle stratégique [55].

« La responsabilité de la Grande-Bretagne dans la mise en place des réseaux stay-behind dans toute l’Europe est absolument fondamentale », rapporta la BBC avec un certain retard dans son édition du soir du 4 avril 1991. Le présentateur des informations John Simpson accusa le MI6 et le ministère de la Défense britannique de ne pas divulguer toutes les informations dont ils disposaient sur le sujet « alors que les révélations sur Gladio ont entraîné la découverte d’armées stay-behind dans d’autres pays européens - en Belgique, en France, aux Pays-Bas, en Espagne, en Grèce et en Turquie. Même dans des pays neutres comme la Suède et la Suisse, cela a donné lieu à un débat public. Dans certains cas, des enquêtes officielles ont été diligentées. En revanche, en Grande-Bretagne, toujours rien. Rien que les habituels communiqués du ministère de la Défense qui ne souhaite pas commenter les questions de Sécurité nationale » [56]. Simpson déclara qu’après la chute du Mur de Berlin les Britanniques avaient pris connaissance des complots et des opérations de terrorisme ourdis par la Stasi, la Securitate et d’autres services secrets d’Europe de l’Est avec une horreur mêlée de fascination. « Se peut-il alors que notre camp se soit livré à des actions comparables ? Jamais ! » commenta-t-il avec ironie avant d’attirer l’attention sur les services de sécurité d’Europe occidentale : « Mais des informations commencent à présent à filtrer concernant des abus qui auraient été commis par la plupart des services secrets des membres de l’OTAN. En Italie, une commission parlementaire a été chargée d’enquêter sur les agissements d’une armée secrète créée par l’État dans le but de résister à une éventuelle invasion soviétique. L’enquête a permis de découvrir l’existence de forces armées clandestines similaires dans toute l’Europe. Mais le groupe italien, connu sous le nom de Gladio, est, lui, soupçonné d’avoir participé à une série d’attentats terroristes » [57].

La BBC ne put obtenir aucune réaction des responsables du gouvernement sur le scandale Gladio, la confirmation officielle de l’implication du MI6 ne vint que des années plus tard et dans un cadre plutôt inhabituel : un musée. En juillet 1995, une nouvelle exposition permanente baptisée « Les guerres secrètes » fut inaugurée à l’Imperial War Museum de Londres. « Tout ce que vous pouvez voir dans cette exposition fait partie des secrets les mieux gardés du pays », assurait-on aux visiteurs à l’entrée. « C’est la première fois qu’ils sont dévoilés au public. Et le plus important : tout est véridique... la réalité est bien plus incroyable et passionnante que la fiction. » Sur l’une des vitrines consacrées au MI6, un commentaire discret confirmait que : « Les préparatifs en vue d’une Troisième Guerre mondiale incluaient la création de commandos stay-behind parés à opérer derrière les lignes ennemies dans le cas d’une invasion soviétique de l’Europe de l’Ouest ». Dans la même vitrine, une grosse caisse pleine d’explosifs était accompagnée de la légende suivante : « Explosifs conçus spécialement par le MI6 pour être cachés dans des territoires susceptibles de passer à l’ennemi. Ils pouvaient rester enterrés pendant des années sans subir la moindre altération. » À côté d’un manuel consacré aux techniques de sabotage pour commandos stay-behind, on pouvait lire : « Dans la zone d’occupation britannique en Autriche, des officiers de la Marine Royale furent spécialement détachés pour aménager des caches d’armes en montagne et collaborer avec des agents recrutés sur place » [58]

D’anciens officiers du MI6 interprétèrent à juste titre cette exposition comme un signe qu’ils étaient à présent libres de s’exprimer sur l’Opération Gladio. Quelques mois après l’inauguration, les anciens officiers de la Marine Royale Giles et Preston, les seuls agents du MI6 dont les noms étaient cités dans l’exposition à côté d’une photographie prise « dans les Alpes autrichiennes, 1953-1954 », confirmèrent à l’écrivain Michael Smith qu’à la fin des années quarante et au début des années cinquante, États-uniens et Britanniques avaient recruté des unités stay-behind en Europe de l’Ouest en prévision d’une invasion soviétique. Giles et Preston furent envoyés à Fort Monckton, non loin de Portsmouth en Angleterre, où les Gladiateurs partageaient l’entraînement des SAS sous l’égide du MI6. Ils étaient formés au cryptage, au maniement des armes à feu et aux opérations secrètes. « On nous faisait faire des exercices, sortir au beau milieu de la nuit et faire semblant de faire exploser des trains sans que le chef de gare ou les porteurs ne nous repèrent », se souvint Preston. « On approchait en rampant et on faisait semblant de fixer des charges explosives sur le côté droit de la locomotive » [59]

Giles se remémora avoir pris part à des opérations de sabotage sur des trains britanniques en service comme, par exemple, l’exercice qui eut lieu à la gare de triage d’Eastleigh : « Nous déposions des briques dans les locomotives pour simuler des pains de plastic. Je me rappelle les files et les files de wagons, entièrement recouverts d’une épaisse couche de neige, arrêtés là au milieu des nuages de vapeur. Des soldats patrouillaient avec des chiens. À un moment donné, les gardes se sont approchés, j’ai alors dû me cacher entre les cylindres des locomotives et attendre qu’ils passent. Nous ôtions aussi le bouchon des réservoirs d’huile des essieux pour y verser du sable, ce qui avait pour conséquence, au bout de quelques dizaines de kilomètres, de les faire tous surchauffer » [60]. Le fait qu’il s’agisse de trains publics en service ne semblait pas gêner les deux agents : « Ce n’était pas mon problème », expliqua Giles, « nous ne faisions que jouer ». « J’ai dû arpenter Greenwich pendant 10 jours pour apprendre à filer des gens et à semer ceux qui me filaient, la réalité concrète du boulot d’espion », raconta Preston. Puis, ils furent envoyés en Autriche avec pour mission de recruter et de former des agents et supervisèrent le réseau de « bunkers souterrains remplis d’armes de vêtements et de matériel » mis en place par « le MI6 et la CIA » à destination du Gladio autrichien [61] En visitant le quartier général du MI6 sur les bords de la Tamise à Londres en 1999, il ne fut pas surpris outre mesure d’apprendre que le MI6 a pour règle de ne jamais évoquer les secrets militaires.

(À suivre…)

Daniele Ganser

Historien suisse, spécialiste des relations internationales contemporaines. Il est enseignant à l'Université de Bâle.







Cet article constitue le troisième chapitre des Armées secrètes de l'OTAN
© Version française : éditions Demi-lune (2007).

[1] Quotidien britannique The European du 9 novembre 1990.

[2] Ibid. Il semble que le représentant de l’OTAN qui apporta le rectificatif soit Robert Stratford. Voir Regine Igel, Andreotti. Politik zwischen Geheimdienst und Mafia (Herbig Verlag, Munich, 1997), p.343.

[3] Quotidien britannique The Observer du 18 novembre 1990.

[4] Quotidien britannique The Guardian du 10 novembre 1990.

[5] Ibid., 30 janvier 1992.

[6] Ibid., 16 janvier 1991.

[7] Agence de presse internationale Reuters, 15 novembre 1990.

[8] Aucun auteur spécifié, « Gladio. Un misterio de la guerra fria. La trama secreta coordinada por mandos de la Alianza Atlantica comienza a salir a la luz tras cuatro decadas de actividad » dans le quotidien espagnol El Pais du 26 novembre 1990.

[9] Aucun auteur spécifié, « El servicio espanol de inteligencia mantiene estrechas relaciones con la OTAN. Serra ordena indagar sobre la red Gladio en Espana » dans le quotidien espagnol El Pais du 16 novembre 1990.

[10] Erich Schmidt Eenboom, Schnüffler ohne Nase. Der BND. Die unheimliche Macht im Staate (Econ Verlag, Düsseldorf, 1993), p.365.

[11] Quotidien portugais Expresso du 24 novembre 1990.

[12] Ibid.

[13] Agence de presse internationale Reuters, 13 novembre 1990. Quotidien britannique The Independent du 16 novembre 1990.

[14] Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990. Agence de presse internationale Reuters, 12 november 1990. Agence de presse internationale Reuters, 15 novembre 1990.

[15] Hebdomadaire britannique The Independent on Sunday du 21 juin 1998. Critique d’un ouvrage sur Nixon (Nixon in Winter) par l’ancienne assistante de Nixon : Monica Crowley.

[16] Ils furent :
1951–1952 Gén. Dwight D Eisenhower, US Army ;
1952–1953 Gén. Matthew B Ridgway, US Army ;
1953–1956 Gén. Alfred M Gruenther, US Army ;
1956–1962 Gén. Lauris Norstad, US Air Force ;
1963–1969 Gén. Lyman L Lemnitzer, US Army ;
1969–1974 Gén. Andrew J Goodpaster, US Army ;
1974–1979 Gén. Alexander M Haig Jr, US Army ;
1979–1987 Gén. Bernard W Rogers, US Army ;
1987–1992 Gén. John R Galvin, US Army ;
1992–1993 Gén. John M Shalikashvili, US Army ;
1993–1997 Gén. George A Joulwan, US Army ;
1997–2000 Gén. Wesley K. Clark, US Army.
2000-2003 Gén. Joseph Ralston, US Air Force ;
2003-2006 Gén. James L. Jones, US Marine Corps ;
2006-2009 Gén. Bantz J. Craddock, US Army ;
2009- Am. James G. Stavridis, US Navy.

[17] Jonathan Kwitny, « The CIA’s Secret Armies in Europe » dans The Nation, 6 avril 1992, p.445.

[18] Hebdomadaire allemand Der Spiegel, n°47, p.20, 19 novembre 1990.

[19] Pietro Cedomi, « Services Secrets, Guerre Froide et ‘stay-behind’ Part III. Répertoire des réseaux S/B » dans le périodique belge Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, novembre/ décembre 1991, p.82.

[20] Commission d’enquête parlementaire sur Gladio, tel que résumé dans le périodique britannique Statewatch, janvier/février 1992.

[21] Philip Willan, Puppetmasters : The Political Use of Terrorism in Italy (Constable, Londres, 1991), p.27.

[22] Arthur Rowse, « Gladio : The Secret US War to subvert Italian Democracy » dans Covert Action Quarterly, n°49, Été 1994, p.3.

[23] Extrait de Willan, Puppetmaster, p.27.

[24] Mario Coglitore (ed.), La Notte dei Gladiatori. Omissioni e silenze della Repubblica (Calusca Edizioni, Padoue, 1992), p.34. « L’existence des protocoles secrets de l’OTAN est un fait avéré car de Gaulle les a dénoncés explicitement le 7 mars 1966 et le Parlement de la RFA a récemment admis qu’ils existaient » (ibid.).

[25] Périodique britannique Searchlight, janvier 1991.

[26] Paolo Inzerili, Gladio. La Verità negata (Edizioni Analisi, Bologne, 1995), p.61.

[27] Inzerilli, Gladio, p.62.

[28] Gerardo Serravalle, Gladio (Edizione Associate, Rome, 1991), p.78.

[29] Ibid., p.78.

[30] Commission d’enquête parlementaire sur Gladio, tel que résumé dans le périodique britannique Statewatch, janvier/février 1992.

[31] Inzerilli, Gladio, p.63.

[32] Ibid.

[33] Michel Van Ussel : Georges 923. Un agent du Gladio belge parle. Témoignage (Éditions La Longue Vue, Bruxelles, 1991), p.139.

[34] Inzerilli, Gladio, p.64.

[35] Courriel d’Anne-Marie Smith du service des archives de l’OTAN à l’auteur, 18 août 2000.

[36] Lettre du chef de la mission suisse à l’OTAN, l’ambassadeur Anton Thalmann, à l’auteur, datée du mai 2001.

[37] Lettre de Lee McClenny, responsible du service de relation presse et médias de l’OTAN, à l’auteur, datée du 2 mai 2001.

[38] Ibid.
[39] Presidential Directive, National Security Decision Memorandum 40, Responsibility for the Conduct, Supervision and Coordination of Covert Action Operations, Washington February 17 1970. Signed : Richard Nixon.

[40] Pour découvrir un historique complet des opérations secrètes de la CIA dans le monde depuis 1945, voir William Blum : Killing Hope. US Military and CIA interventions since World War II (Common Courage Press, Maine, 1995). Version française : Les Guerres scélérates (Parangon, 2004).

[41] Source : www.terrorism.com

[42] Les trois commissions étaient la Commission du Sénat présidée par Frank Church, la Commission de la Chambre des Représentants présidée par Ottis Pike et la Commission Murphy du Président Ford.
1. Report of the House Select Committee on Intelligence [Pike Committee], Ninety-fourth Congress, Publié par Village Voice, New York City, février 1976.
2. Report of the Commission on the Organization of the Government for the Conduct of Foreign Policy [Murphy Commission], US Government Printing Office, Washington DC, June 1975.
3. Final Report, of the United States Senate Select Committe to Study Governmental Operations with Respect to Intelligence Activities [Church Committee], US Government Printing Office, Washington DC, April 1976.
Celui qui peut être considéré comme le meilleur des trois rapports, le Rapport final de la Commission Sénatoriale d’Enquête sur les Opérations du Gouvernement en matière de Renseignement, se compose de six volumes. Le premier traite du « Renseignement Extérieur et Militaire, de la CIA, des opérations secrètes et la question du contrôle démocratique des services secrets ». Dans le second volume, intitulé « Activités de Renseignement et Droits des Citoyens États-uniens » le rapport Church révèlent de quelle manière la NSA et le FBI ont violé la vie privée des citoyens états-uniens. Le troisième volume, intitulé « Rapports Internes Complémentaires sur les Activités de Renseignement et les Droits des Citoyens États-uniens », prolonge l’analyse du précédent et affirme que « contre-espionnage » est une appellation impropre pour « opération clandestine intérieure ». Le quatrième volume, intitulé « Rapports Internes Complémentaires sur le Renseignement Extérieur et Militaire » présente un historique de la CIA de 1946 à 1975. Le cinquième volume, intitulé « L’Assassinat du Président John F. Kennedy et le Travail des Agences de Renseignement », tente d’établir si les services secrets US ont ou non conspiré pour entretenir le secret autour de l’assassinat de JFK. Le dernier volume, intitulé « Rapports Complémentaires sur les Activités de Renseignement », traite de l’évolution historique et de l’organisation de la capacité de renseignement nationale de 1776 à 1976.
Des extraits de ces rapports ont été publiés en français sous le titre Les Complots de la CIA. Manipulations et assassinats (Stock, 1976).

[43] Kathryn Olmsted, Challenging the Secret Government : The Post-Watergate Investigations of the CIA and FBI (University of North Carolina Press, Chapelhill, 1996), p.9.

[44] Quotidien britannique The Independent du 1er décembre 1990.

[45] Jonathan Kwitny, « The CIA’s Secret Armies in Europe » dans The Nation , 6 avril 1992, p.445.

[46] Arthur Rowse, « Gladio. The Secret US War to Subvert Italian Democracy » dans Covert Action Quarterly, n°49, Été 1994.

[47] Requête FOIA : « L’Operation ‘Gladio’ de la CIA », déposée par Malcolm Byrne le 15 avril 1991. Requête FOIA n° 910113.

[48] Quotidien italien Corriere della Sera du 29 mai 1995.

[49] Magazine politique autrichien Zoom, n° 4/5, 1996 : « Es muss nicht immer Gladio sein. Attentate, Waffenlager, Erinnerungslücken », p.6.

[50] Bericht betreff US Waffenlager. Oesterreichisches Bundesministerium für Inneres. Generaldirektor für die öffentliche Sicherheit. Mag. Michael Sika. 28 novembre 1997. Vienne, p.10.

[51] Lettre datée du 28 décembre 2000 et adressée par la CIA à l’auteur concernant la requête FOIA F-2000-02528 portant sur l’opération Gladio.

[52] Lettre datée du 23 janvier 2001 et adressée par l’auteur à Mme Dyer de la CIA.

[53] Lettre datée du 7 février 2001 et adressée par la coordinatrice des questions d’information et de respect de la vie privée Kathryn I. Dyer à l’auteur.

[54] Au moment de la mise sous presse de l’édition française, soit 6 ans après la demande, l’auteur attend toujours… (Note de l’éditeur)

[55] Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.

[56] Télévision britannique. BBC Newsnight, 4 avril 1991, 22 h 30. Reportage du journaliste Peter Marshall sur Gladio.

[57] Ibid.

[58] Imperial War Museum, Londres. Exposition sur les Guerres Secrètes. Visitée par l’auteur le 20 mai 1999. Le 4 juin 1999, l’auteur rencontra Mark Siemens, du département de recherche du musée et en charge de l’exposition sur les Guerres Secrètes, qui souligna que l’unité secrète SOE, créée pendant le Seconde Guerre mondiale, était le prédécesseur des stay-behinds Gladio. L’auteur ne parvint à obtenir du MI6 aucune information supplémentaire sur le phénomène.

[59] Michael Smith, New Cloak, Old Dagger : How Britain’s Spies Came in from the Cold (Gollancz, Londres, 1996), p.117. Basé sur des entretiens avec Simon Preston le 11 octobre 1995 et Michael Giles le 25 octobre 1995.

[60] Smith, Dagger, p.117.

[61] Ibid., p.118.

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Les armées secrètes de l’OTAN (IV)
Les égouts de Sa Majesté
par Daniele Ganser*


Les réseaux stay-behind, qui permettent à l'OTAN de contrôler la vie politique des États alliés, ont été construits à partir des réseaux de résistance au nazisme que les Britanniques avaient organisé et soutenu durant la Seconde Guerre mondiale. Cependant, la lutte contre le communisme a servi de justification à toutes sortes d'opérations au Royaume-Uni même (attentats terroristes sous faux drapeau et assassinats de républicains irlandais), en Europe continentale (principalement en France, au Bénélux, dans les pays nordiques, et jusqu'en Suisse neutre), et même en Afrique et en Asie (par exemple pour encadrer le massacre des populations francophones du Cambodge par les Khmers rouges). Dans ce quatrième volet de l'histoire du Gladio, Daniele Ganser nous dévoile les égouts de Sa Majesté.


La vérité définitive sur la Guerre froide ne sera jamais écrite, l’Histoire évoluant sans cesse au rythme des sociétés qui la font et l’étudient. Mais les historiens de nombreux pays s’accordent à dire que le fait majeur de cette période fut, du point de vue des Occidentaux, la lutte contre le communisme à l’échelle de la planète. Dans ce combat qui aura marqué l’histoire du XXe siècle comme peu d’autres, l’ancienne superpuissance coloniale britannique dut renoncer à son hégémonie au profit des États-Unis. Ces derniers instrumentèrent la lutte contre le communisme pour accroître leur influence, décennie après décennie. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique qui mit un terme à la Guerre froide en 1991, l’Empire américain s’est assuré une domination jamais vue dans toute l’histoire.

En Grande-Bretagne, l’establishment conservateur s’émut vivement en 1917, quand, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un régime communiste fut mis en place dans un lointain mais vaste pays agricole. Après la Révolution russe, les communistes prirent le contrôle des usines et annoncèrent que les moyens de production étaient dorénavant la propriété du peuple. Dans la plupart des cas, les investisseurs perdirent tout. Dans ses Origines de la Guerre froide, l’historien Denna Frank Fleming observa que nombre des bouleversements sociaux apportés par la Révolution, notamment l’abolition des cultes et de la noblesse paysanne, « auraient pu être acceptés par les conservateurs, à l’étranger, avec le temps mais la nationalisation de l’industrie, du commerce et de la terre, jamais ». L’exemple de la Révolution russe ne fut suivi nulle part. « J.B. Priestly a dit un jour que l’esprit des conservateurs anglais s’était fermé lors de la Révolution russe et ne s’est plus jamais rouvert depuis. » [1]

Largement ignorée à l’Ouest, la guerre secrète contre le terrorisme débuta donc immédiatement après la Révolution russe, quand la Grande-Bretagne et les États-Unis levèrent des armées secrètes contre les nouveaux pays satellites de l’Union soviétique. Entre 1918 et 1920, Londres et Washington s’allièrent à la droite russe et financèrent une dizaine d’interventions militaires sur le sol soviétique, dont toutes échouèrent à renverser les nouveaux dirigeants tout en faisant naître chez les élites communistes et chez le dictateur Staline de très forts soupçons quant aux intentions de l’Occident capitaliste [2]. Dans les années qui suivirent, l’Union soviétique renforça son appareil sécuritaire jusqu’à devenir un État totalitaire n’hésitant pas à arrêter les étrangers présents sur son sol, suspectés d’être des agents de l’Ouest. Comme il devint évident qu’il ne serait pas aisé de renverser le régime communiste en Russie, la Grande-Bretagne et ses alliés consacrèrent leurs efforts à empêcher le communisme de s’étendre à d’autres pays.

En juillet 1936, le dictateur fasciste Franco tenta un coup d’État contre le gouvernement de la gauche espagnole et, au cours de la guerre civile qui s’ensuivit, élimina l’opposition et les communistes espagnols, bénéficiant pour cela du soutien silencieux des gouvernements de Londres, Washington et Paris. Si l’ascension d’Adolf Hitler ne fut pas combattue, c’est en grande partie parce qu’il désignait le bon ennemi : le communisme soviétique. Pendant la guerre civile espagnole, les armées de Hitler et Mussolini purent librement bombarder l’opposition républicaine. Après avoir déclenché la Seconde Guerre mondiale, Hitler lança trois grandes offensives contre la Russie, en 1941, 1942 et 1943, qui faillirent porter un coup fatal au bolchevisme. De tous les belligérants, c’est l’Union soviétique qui paya le plus lourd tribut : 15 millions de morts parmi les civils, 7 millions parmi les soldats et 14 millions de blessés [3]. Les historiens russes ont depuis prétendu que, malgré les demandes urgentes de Moscou, les États-Unis, qui perdirent 300 000 hommes pour libérer l’Europe et l’Asie, s’étaient entendus avec la Grande-Bretagne pour ne pas ouvrir de deuxième front à l’Ouest, ce qui aurait naturellement mobilisé des troupes allemandes et, par conséquent, diminué leur nombre sur le front russe. C’est seulement après Stalingrad que le rapport de force s’inversa : l’Armée rouge eut enfin le dessus sur les Allemands et marcha vers l’Ouest ; c’est ce qui explique, toujours selon les historiens russes, que les Alliés, craignant de perdre du terrain, ont rapidement ouvert un second front et, après le débarquement de Normandie, rejoint les Soviétiques à Berlin [4].

Les historiens britanniques attestent de toute une succession d’intrigues qui ont façonné les autres pays et le leur. « L’Angleterre moderne a toujours été un haut lieu de subversion - aux yeux des autres mais pas aux siens », observa Mackenzie après la Seconde Guerre mondiale. « D’où ce miroir à deux faces : d’un côté la perception à l’étranger d’une Angleterre intrigante, subtile et totalement secrète, et de l’autre une image d’honnêteté, de simplicité et de bienveillance partagée par une majorité de sujets. » [5] Pour Mackenzie, la légendaire guerre secrète pratiquée par les Britanniques trouve son origine « dans l’histoire des 'petites guerres' qui façonnèrent l’histoire de l’Empire britannique » [6]. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les stratèges du ministère de la Défense britannique conclurent que leurs opérations secrètes devaient « s’inspirer de l’expérience acquise en Inde, en Irak, en Irlande et en Russie, c’est-à-dire développer une guérilla assortie de techniques de combat empruntées à l’IRA » [7].

En mars 1938, peu après l’annexion de l’Autriche par Hitler, un nouveau département fut créé au MI6, sous le nom de Section D, chargé de développer des opérations de subversion en Europe. La Section D commença à former des commandos de sabotage stay-behind dans les pays menacés par une agression allemande [8]. Quand, en 1940, l’invasion du sud de l’Angleterre sembla imminente, la « Section D entreprit de disséminer des réserves d’armes et des agents recruteurs dans toute la Grande-Bretagne, sans en informer personne. Le MI5, qui opère à l’intérieur des frontières du pays, s’inquiéta quand il reçut les premiers rapports sur les activités de la Section D et plusieurs de ses agents furent arrêtés comme espions avant que la vérité ne soit découverte. » [9] Le recrutement et la direction des agents stay-behind par les membres de la Section D semblaient se faire dans le plus grand secret : « L’apparence de ces inconnus [les agents de la Section D] dans leurs costumes de ville et leurs berlines noires et la mystérieuse impression qui s’en dégageait ne tarda pas à inquiéter la population », se souvient Peter Wilkinson, un ancien agent du SOE. Les agents secrets rendaient également furieux « les responsables militaires en refusant systématiquement d’expliquer les raisons de leur présence ou d’évoquer le contenu de leurs missions, se contentant d’indiquer que tout cela était top secret » [10]. Un demi-siècle plus tard, l’exposition de l’Imperial War Museum de Londres consacrée aux « guerres secrètes » révéla au public comment « la section D du MI6, conformément à la doctrine stay-behind, avait également mis en place en Angleterre des armées de résistants baptisées 'Unités Auxiliaires' et équipées en armes et explosifs ». Ces premières unités Gladio de Grande-Bretagne « reçurent un entraînement spécial et apprirent à opérer derrière les lignes ennemies dans l’hypothèse où l’île serait envahie par les Allemands. S’appuyant sur un réseau de cachettes secrètes et de caches d’armes, elles devaient pratiquer des actes de sabotages et de guérilla contre l’occupant allemand. » [11] L’envahisseur n’étant jamais venu, on ignore si ce plan aurait pu fonctionner. Mais, en août 1940, « une armée assez hétéroclite » fut tout de même déployée le long des littoraux anglais et écossais de la mer du Nord, aux endroits les plus vulnérables à une invasion [12].

La zone d’action de la Section D du MI6 était initialement limitée à la Grande-Bretagne. Il en fut ainsi jusqu’en juillet 1940, lorsque le Premier ministre britannique Winston Churchill ordonna la création d’une armée secrète baptisée SOE destinée à « mettre le feu à l’Europe en épaulant les mouvements de résistance et en menant des opérations de subversion en territoire ennemi » [13]. Un mémorandum du ministère de la Guerre daté du 19 juillet 1940 indique que : « Le Premier ministre a également décidé, après consultation des ministres concernés, qu’une nouvelle organisation devait être créée immédiatement avec pour mission de coordonner toutes les actions de subversion et de sabotage dirigées contre l’ennemi hors du territoire national ». Le SOE fut placé sous le commandement de Hugh Dalton, ministre de l’Économie de guerre. Après que les Allemands eurent envahi la France et semblèrent installés pour longtemps, le ministre Dalton fit valoir la nécessité d’engager une guerre secrète contre les forces allemandes dans les territoires occupés : « Nous devons organiser, à l’intérieur des territoires occupés, des mouvements comparables au Sinn Fein en Irlande, à la guérilla chinoise qui lutte en ce moment contre le Japon, aux irréguliers espagnols qui jouèrent un rôle non négligeable dans la campagne de Wellington ou, autant le reconnaître, des mouvements comparables aux organisations développées si remarquablement par les nazis eux-mêmes dans presque tous les pays du monde ». Il semblait évident que les Britanniques ne pouvaient se permettre de négliger le recours à la guerre clandestine, Dalton ajouta : « Cette 'internationale démocratique' doit employer différentes méthodes, y compris le sabotage des installations industrielles et militaires, l’agitation syndicale et la grève, la propagande continuelle, les attentats terroristes contre les traîtres et les dirigeants allemands, le boycott et les émeutes. » Il fallait donc bâtir, dans le plus grand secret, un réseau de résistance, en faisant appel aux têtes brûlées de l’armée et du renseignement britanniques : « Ce qu’il nous faut c’est une nouvelle organisation qui coordonne, inspire, supervise et assiste les réseaux des pays occupés qui devront en être les acteurs directs. Nous devrons pour cela pouvoir compter sur la plus absolue discrétion, sur une bonne dose d’enthousiasme fanatique, sur la volonté de coopérer avec des personnes de nationalités différentes et sur le soutien inconditionnel du pouvoir politique. » [14]

Sous l’égide du ministre Dalton, le commandement opérationnel du SOE fut confié au général de division Sir Colin Gubbins, un petit homme sec et maigre, originaire des Highlands et portant une moustache, qui allait par la suite jouer un rôle déterminant dans la création du Gladio britannique [15]. « Le problème et sa solution consistaient à encourager et à permettre aux peuples des pays occupés de nuire autant que possible à l’effort de guerre allemand par le sabotage, la subversion, le débrayage, des raids éclairs, etc. ... », décrivit Gubbins, « et, dans le même temps, préparer en territoire ennemi des forces secrètes organisées, armées et entraînées qui n’interviendraient que lors de l’assaut final. » Le SOE était en réalité le précurseur de l’Opération Gladio, initié au milieu de la Seconde Guerre mondiale. Gubbins résume ce projet ambitieux en ces termes : « Au bout du compte, ce plan consistait à faire parvenir dans les zones occupées un grand nombre d’hommes et d’importantes quantités d’armes et d’explosifs » [16]

Le Special Operations Executive employait une grande partie des effectifs de la Section D et il finit par devenir à lui seul une organisation majeure, comptant plus de 13 000 hommes et femmes dans ses rangs et opérant dans le monde entier en étroite collaboration avec le MI6. S’il arriva au SOE d’effectuer des missions en Extrême-Orient, depuis des bases arrières situées en Inde et en Australie, l’Europe de l’Ouest restait son principal théâtre d’opérations où il se consacrait presque exclusivement à la création des armées secrètes nationales. Le SOE encourageait le sabotage et la subversion dans les territoires occupés et établissait des noyaux d’hommes entraînés capables d’assister les groupes de résistants dans la reconquête de leurs pays respectifs. « Le SOE fut pendant 5 ans le principal instrument d’intervention de la Grande-Bretagne dans les affaires politiques internes de l’Europe », précise le rapport du British Cabinet Office, « un instrument extrêmement puissant », puisque capable d’exécuter une multitude de tâches, « Tant que le SOE était en action, aucun homme politique européen ne pouvait croire au renoncement ou à la défaite des Britanniques » [17]

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Longtemps connu sous le nom de code "C", Sir Stewart Menzies fut directeur du MI6 de 1939 à 1952. Il assura la pérennité du {stay behind} après la victoire contre les nazis.
© E.O. Hoppé

Officiellement, le SOE fut dissous et son commandant démissionna au lendemain de la guerre, en janvier 1946. Cependant Sir Steward Menzies, qui dirigea le MI6 de 1939 à 1952, n’allait certainement pas renoncer à un outil aussi précieux que l’armée secrète, d’autant que le directeur du Département des Opérations Spéciales du MI6 assurait que les actions clandestines de la Grande-Bretagne se poursuivraient pendant la Guerre froide. Le rapport du gouvernement sur le SOE, document qui fut tenu secret pendant un temps, conclut que : « Il est quasiment certain que, sous une forme ou sous une autre, le SOE devra être restauré dans une guerre future » [18]. Les objectifs à long terme du SOE et de son successeur, le Special Operations Branch du MI6, approuvés provisoirement par le Conseil de l’État-major britannique le 4 octobre 1945, prévoyaient d’abord la création du squelette d’un réseau capable de s’étendre rapidement en cas de guerre et, dans un second temps, la réévaluation des besoins du gouvernement britannique pour ses opérations clandestines à l’étranger. « Il a été décidé de préparer ces actions en priorité dans les pays susceptibles d’être envahis au cours des premières phases d’un conflit avec l’Union soviétique, mais non encore soumis à la domination de Moscou. » [19] Après la Seconde Guerre mondiale, l’Europe de l’Ouest demeura donc le principal théâtre des opérations de la guerre secrète britannique.

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A partir de 1946, Sir Colin Gubbins commanda une nouvelle section du MI6, qui intégra les réseaux stay-behind de la Seconde Guerre mondiale.

Après le démantèlement du SOE le 30 juin 1946, une nouvelle section dite « Special Operations » (SO) fut créée au sein du MI6 et placée sous le commandement du général de division Colin Gubbins. D’après le spécialiste néerlandais des services secrets Frans Kluiters, le MI6 promouvait la formation d’armées anticommunistes secrètes « tandis que les Special Operations commençait à bâtir des réseaux en Allemagne de l’Ouest, en Italie et en Autriche. Ces réseaux (des organisations stay-behind) pouvaient être activés en cas d’une éventuelle invasion soviétique, afin de récolter des informations et d’effectuer des actes de sabotage offensif » [20]. Gubbins veilla à ce qu’après 1945 les effectifs soient maintenus en Allemagne, en Autriche, en Italie, en Grèce et en Turquie ; en effet, le SOE et ses successeurs « avaient d’autres préoccupations politiques que la seule défaite de l’Allemagne ». La directive de 1945, particulièrement explicite, « établissait clairement que les principaux ennemis du SOE étaient le communisme et l’Union soviétique » car l’on considérait que les intérêts britanniques étaient « menacés par l’Union soviétique et le communisme européen » [21] Quelques années plus tard, dans l’espoir de gagner le soutien de la représentation nationale à la poursuite des opérations clandestines, le ministre des Affaires étrangères britannique Ernest Bevin s’adressa au Parlement le 22 janvier 1948 pour demander instamment la création d’unités armées spécialisées destinées à lutter contre la subversion et les « cinquièmes colonnes » soviétiques. À l’époque, seuls quelques rares parlementaires savaient que cette proposition était en réalité déjà en application.

Washington partageant la même hostilité que Londres à l’égard des Soviétiques, les deux puissances travaillaient en étroite collaboration sur les questions militaires et de renseignement. La Maison-Blanche chargea Frank Wisner [22], directeur de l’Office of Policy Coordination (OPC), le bureau de coordination politique des opérations spéciales de la CIA, d’établir des armées secrètes stay-behind dans toute l’Europe de l’Ouest, avec l’aide de la Special Operations Branch du MI6, dirigée par le colonel Gubbins. Comme l’expliquent Roger Faligot et Rémi Kauffer, deux historiens français spécialistes des services secrets, la CIA et le MI6 se chargèrent dans un premier temps de « neutraliser les dernières unités clandestines des puissances de l’Axe en Allemagne, en Autriche et dans le Nord de l’Italie » puis d’enrôler certains membres des factions fascistes vaincues dans leurs nouvelles armées secrètes anticommunistes. « Et c’est ainsi que, par l’intermédiaire de l’OPC de la CIA et de la SOB du SIS, les services secrets des grandes démocraties qui venaient de gagner la guerre tentèrent ensuite de 'retourner' certains de leurs commandos contre leur ancien allié soviétique. » [23]

Parallèlement au MI6 et à la CIA et à leurs départements des opérations spéciales respectifs, le SOB et l’OPC, une coopération fut également établie entre les Forces Spéciales des armées britanniques et américaines. Les SAS et les Bérets Verts américains, spécialement entraînés pour effectuer des missions secrètes en territoire ennemi, menèrent conjointement de nombreuses opérations durant la Guerre froide, au nombre desquelles figure la formation des armées secrètes stay-behind. Les anciens officiers de la Marine Royale Giles et Preston qui avaient mis en place le Gladio autrichien relatèrent que les recrues étaient envoyées au Fort Monckton, un bâtiment datant des guerres napoléoniennes situé sur le front de mer près de Portsmouth, en Angleterre, où ils s’entraînaient aux côtés des SAS, sous la direction du MI6. Ils avaient personnellement pris part à ces exercices Gladio et avaient été initiés à l’utilisation des codes secrets, au maniement des armes et aux opérations clandestines [24] Decimo Garau fut l’une de ces recrues formées par le SAS britannique avant de devenir instructeur au Centro Addestramento Guastatori (CAG), une base du Gladio italien située à Capo Marragiu, en Sardaigne. « Je fus invité à passer une semaine à Poole, en Angleterre, pour m’entraîner avec les Forces Spéciales », confirma l’instructeur Garau après les révélations sur l’existence de Gladio, en 1990. « J’ai effectué un saut en parachute au-dessus de la Manche. J’ai participé à leur entraînement, ça s’est très bien passé entre nous. Ensuite, on m’a envoyé à Hereford pour préparer et effectuer des exercices avec les SAS. » [25]

À cette époque, les Britanniques étaient les plus expérimentés en matière d’opérations secrètes et de guerre non conventionnelle. Leurs Forces Spéciales, les SAS, avaient été créées en Afrique du Nord en 1942 avec pour mission de frapper loin derrière les lignes ennemies. Les plus dangereux adversaires des SAS britanniques étaient sans nul doute la SS allemande fondée dès avant la Seconde Guerre mondiale et commandée par Heinrich Himmler. Comme toutes les Forces Spéciales, la SS était une unité combattante d’élite avec ses insignes - un uniforme noir bien sanglé, orné d’une tête de mort et d’une dague couleur argent - et convaincue de sa supériorité sur tous les corps de l’armée régulière, ses éléments se taillèrent d’ailleurs très vite une réputation de « tueurs fanatiques ». Suite à la défaite de l’Allemagne nazie, les Forces Spéciales de la SS furent considérées comme une organisation criminelle et dissoute par le Tribunal de Nuremberg en 1946.

Après la victoire, le SAS fut lui aussi démantelé en octobre 1945. Cependant, la nécessité de mener des coups tordus et des missions périlleuses croissant à mesure que l’influence de la Grande-Bretagne dans le monde s’étiolait, le SAS fut restauré et envoyé pour se battre derrière les lignes ennemies, notamment en Malaisie en 1947. Depuis leur quartier général de Hereford surnommé « la Nursery », les SAS préparèrent de nombreuses missions dans la plus grande discrétion comme, par exemple, celle effectuée en 1958 à la demande du sultan d’Oman, dans le cadre de laquelle ils contribuèrent à réprimer une guérilla marxiste en rébellion contre la dictature du régime. L’opération devait garantir le financement du service à l’avenir puisque, comme le comprit un officier du SAS, ils prouvèrent qu’ils « pouvaient être aéroportés vers une zone de trouble rapidement et discrètement et opérer dans un endroit reculé en toute confidentialité, un atout très apprécié du gouvernement conservateur de l’époque ». [26] Si leur fait d’armes le plus célèbre reste l’assaut de l’ambassade d’Iran à Londres, en 1980, ils furent également actifs pendant la guerre des Malouines en 1982. Le déploiement de forces le plus massif des SAS depuis la Seconde Guerre mondiale eut lieu pendant la guerre du Golfe en 1991. En 1999, ils collaborèrent une fois de plus avec les Bérets Verts pour entraîner et équiper l’armée de Libération du Kosovo avant et pendant les bombardements de l’OTAN sur la province alors contrôlée par les Serbes.

Le député conservateur Nigel West souligna à juste titre que, à l’instar des Bérets Verts : « Le SAS britannique aurait joué un rôle stratégique dans l’Opération Gladio si les Soviétiques avaient envahi l’Europe de l’Ouest », sous-entendant ainsi l’implication du service auprès des armées stay-behind d’Europe [27]. Les deux unités d’élite collaboraient étroitement. Preuve de cette entente, les membres des Forces Spéciales états-uniennes portèrent à partir de 1953 le fameux béret vert emprunté à l’uniforme de leurs modèles britanniques. Le port de ce couvre-chef « étranger » contraria de nombreux hauts gradés de l’armée US. C’est seulement quand le président Kennedy, lui-même grand partisan des opérations secrètes et des Forces Spéciales, l’approuva lors d’une visite à Fort Bragg, le quartier général des commandos états-uniens, en octobre 1961, que le béret fut officiellement adopté aux États-Unis pour devenir rapidement l’emblème du plus prestigieux des commandos du pays. L’admiration des États-uniens pour l’illustre et glorieux SAS perdura de nombreuses années, ils avaient même coutume d’appeler le quartier général de Hereford la « Maison Mère » et les officiers formés en Grande-Bretagne jouissaient d’un certain prestige à leur retour aux États-Unis. De leur côté, les Britanniques veillaient également à entretenir cette alliance, en 1962, ils nommèrent d’ailleurs le commandant des Bérets Verts, le général de division William Yarborough, membre honoraire du SAS.

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Lady Thatcher a projeté le SOE jusqu'au Cambodge où il a formé et encadré les Khmers rouges. Ceux-ci ont alors massacré 1,5 million de personnes, en priorité les intellectuels parlant le français.

Deux ans avant qu’éclate l’affaire Gladio, en 1988, la BBC dévoila l’existence d’une coopération entre les Forces Spéciales états-uniennes et britanniques. Dans un documentaire intitulé The Unleashing of Evil, elle révéla au public comment le SAS et les Bérets Verts n’avaient pas hésité à torturer leurs prisonniers au cours de chacune de leurs campagnes menées depuis 30 ans au Kenya, en Irlande du Nord, à Oman, au Vietnam, au Yémen, à Chypre et dans d’autres pays. Luke Thomson, un ancien officier membre des Bérets Verts, expliquait devant la caméra que les troupes d’élites états-uniennes et britanniques suivaient à Fort Bragg un programme d’entraînement commun. Sur quoi, Richard Norton Taylor, qui réalisait le documentaire et se distingua deux ans plus tard par ses investigations sur l’affaire Gladio, conclut que la cruauté « est finalement plus répandue et plus ancrée dans notre nature que nous aimons à le croire ». [28] Lors d’une autre opération top secret, les Bérets Verts entraînèrent également les escadrons Khmers Rouges qui participèrent au génocide cambodgien, après que le contact eut été établi par Ray Cline, haut responsable de la CIA et conseiller spécial du président Ronald Reagan. Quand éclata l’affaire de l’Irangate en 1983, le président Reagan, qui voulait à tout prix éviter un nouveau scandale, demanda au Premier ministre britannique Margaret Thatcher de prendre le relais, elle envoya donc les SAS au Cambodge pour entraîner les troupes de Pol Pot. « Nous nous sommes d’abord rendus en Thaïlande en 1984 », témoignèrent par la suite des officiers du SAS, « on travaillait avec les Yankees, on était très proches, comme des frères. Ils n’aimaient pas ça plus que nous. On a appris un tas de trucs techniques aux Khmers Rouges, se souvient l’officier. Au début, ils voulaient simplement entrer dans les villages et découper les gens à la machette. On leur a dit de se calmer. » Les SAS n’étaient visiblement pas très à l’aise dans cette mission : « On aurait été nombreux à changer de camp à la première occasion. On était tellement dégoûtés. On détestait tellement être associés à Pol Pot. Je vous assure : on est des soldats, pas des tueurs d’enfants. » [29]

« Mon expérience des opérations secrètes m’a appris qu’elles ne le restaient jamais longtemps », dit avec un sourire le maréchal Lord Carver, chef de l’état-major et futur commandant en chef de la Défense britannique, une remarque qui pourrait fort bien s’appliquer à Gladio. « Une fois que vous avez mis un doigt dans l’engrenage, il y a un risque que les Forces Spéciales commencent à agir selon leurs propres règles, comme le firent les Français en Algérie et peut-être plus récemment dans l’affaire du Rainbow Warrior en Nouvelle-Zélande », au cours de laquelle le Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE) avait, le 10 août 1985, coulé le navire de Greenpeace qui tentait alors de s’opposer aux essais nucléaires français dans le Pacifique [30] L’engrenage désignait bien sûr aussi les agissements des SAS en Irlande du Nord où ils étaient considérés comme des terroristes ni plus ni moins par les républicains irlandais. « Il y a de bonnes raisons de penser », accusaient leurs opposants, « que, même du point de vue britannique, le SAS posa en réalité plus de problèmes en Irlande du Nord qu’il ne permit d’en résoudre. » [31]

Quand éclata le scandale Gladio en 1990, la presse britannique observa qu’il était « à présent établi que le Special Air Service (SAS) était mêlé jusqu’au cou dans le projet de l’OTAN et qu’il avait servi, avec le MI6, à former des guérilleros et des saboteurs ». Les journaux du pays parlèrent notamment d’une « unité stay-behind italienne formée en Grande-Bretagne. Tout semble indiquer que cela a duré jusqu’au milieu des années quatre-vingt (...) il a été prouvé que les SAS ont aménagé dans la zone allemande sous occupation britannique des caches où étaient entreposées des armes. » [32] Les informations les plus précieuses sur le rôle joué par le Royaume-Uni ont été fournies par l’enquête parlementaire suisse sur l’armée secrète stay-behind helvétique P26. « Les services secrets britanniques ont collaboré étroitement avec une organisation clandestine armée, P26, dans le cadre d’une série d’accords secrets liant un réseau européen de groupes de 'résistants' », révéla un quotidien à une population suisse abasourdie et convaincue de la neutralité de son pays. Le juge Cornu qui fut chargé d’enquêter sur l’affaire décrivit dans son rapport « la collaboration entre le groupe [P26] et les services secrets britanniques comme 'intense', ces derniers ayant apporté leur précieux savoir-faire. Selon le rapport, les cadres du P26 ont participé à des exercices réguliers au Royaume-Uni. Les conseillers britanniques, peut-être du SAS, ont visité des camps d’entraînement secrets en Suisse. » Ironie du sort, les Britanniques en savaient plus sur l’armée secrète suisse que les Suisses eux-mêmes, parce que « les activités du P26, ses codes, et le nom du chef du groupe, Efrem Cattelan, étaient connus des services anglais tandis que le gouvernement helvétique était maintenu dans l’ignorance, précise le rapport. Il affirme que les documents relatifs aux accords secrets conclus entre les Britanniques et le P26 n’ont jamais été retrouvés. » [33]

Pendant les années soixante, soixante-dix et quatre-vingt, les Gladiateurs suisses furent formés au Royaume-Uni par les instructeurs des Forces Spéciales britanniques. D’après Aloïs Hürlimann, instructeur militaire et vraisemblablement ancien membre du Gladio suisse, cet entraînement incluait des opérations non simulées contre des activistes de l’IRA, probablement en Irlande du Nord. Hürlimann laissa échapper ces révélations au cours d’une conversation dans le cadre d’un cours d’anglais. Dans une langue approximative, il expliqua comment, en mai 1984, il avait pris part à des exercices secrets en Angleterre, qui comportaient la prise d’assaut réelle d’un dépôt de munitions de l’IRA. Hürlimann ajouta avoir personnellement participé à cette mission, en tenue de camouflage, et avoir constaté la mort d’au moins un des membres de l’IRA [34].

Chose intéressante, l’enquête du juge Cornu permit de découvrir, en 1991, la présence, quelque part en Angleterre du centre de commandement et de communications de Gladio, équipé du système Harpoon si caractéristique. En 1984, un « Accord de Coopération », complété trois ans plus tard par un « Mémorandum sur l’Assistance Technique », faisait explicitement état de « centres d’entraînement en Grande-Bretagne, [de] l’installation d’un centre de transmission suisse en Angleterre et,[ de] la coopération des deux services sur les questions techniques ». Malheureusement, comme le déplore le juge Cornu, « nous ne sommes parvenus à retrouver ni l’'Accord de Coopération' ni le 'Mémorandum sur l’Assistance Technique' ». La personne responsable à l’UNA, les services secrets militaires suisses, déclara qu’il les avait dû « les transmettre aux services secrets britanniques en décembre 1989 pour des raisons inconnues, sans en conserver la copie » [35] « Les cadres de l’organisation suisse considéraient les Britanniques comme les meilleurs spécialistes en la matière », précise le rapport du gouvernement de Berne [36].

Après la découverte des armées secrètes fin 1990, un ancien responsable du renseignement de l’OTAN qui resta anonyme prétendit qu’« il y avait une division du travail entre le Royaume-Uni et les USA, les premiers se chargeant des opérations en France, en Belgique, aux Pays-Bas, au Portugal et en Norvège tandis que les Américains s’occupaient de la Suède, de la Finlande et du reste de l’Europe » [37]. Cette séparation des tâches n’alla pas sans mal dans tous les pays, comme le montre l’exemple italien. Le 8 novembre 1951, le général Umberto Broccoli, l’un des premiers directeurs du SIFAR, les services secrets militaires italiens, écrivit au ministre de la Défense Efisio Marras afin d’évoquer les questions relatives au réseau stay-behind et à l’entraînement des Gladiateurs. Broccoli expliquait que les Britanniques avaient déjà créé des structures semblables aux Pays-Bas, en Belgique et « vraisemblablement aussi au Danemark et en Norvège ». Le général était heureux de confirmer que la Grande-Bretagne « se propose de nous faire profiter de sa grande expérience » tandis que les États-uniens ont « offert de contribuer activement à notre organisation en fournissant des hommes, du matériel (gratuit ou presque) et peut-être même des fonds ». Broccoli soulignait combien il serait judicieux d’envoyer 7 officiers italiens triés sur le volet suivre un entraînement spécial en Angleterre entre novembre 1951 et février 1952 car ces officiers pourraient ensuite transmettre leur expérience aux Gladiateurs italiens. Le chef des services secrets militaires Broccoli demandait au ministre de la Défense Marras « de donner son approbation à ce programme parce que, même si les Britanniques l’ignorent, je me suis entendu avec les services secrets américains pour que l’Italie s’y engage » [38]

La formation Gladio fournie par les Britanniques n’était pas gratuite, il s’agissait en fait d’un commerce lucratif ; Broccoli reconnaissait que l’« on peut s’attendre à un coût total d’environ 500 millions de lires qui ne peuvent être pris sur le budget du SIFAR et qui devraient être compris dans celui des Forces armées » [39]. Comme l’indiquait le général italien, le MI6 avait offert d’entraîner les officiers du Gladio italien à condition que l’Italie commande de l’armement à la Grande-Bretagne. Dans le même temps, cependant, la CIA, dans ce qui ressemble fort à une tentative pour étendre sa sphère d’influence, proposait de fournir gratuitement le Gladio en armes. Au bout du compte, les Italiens choisirent de ne pas choisir : ils envoyèrent leurs officiers recevoir la prestigieuse instruction des centres d’entraînement britanniques et conclurent simultanément avec les États-Unis un accord secret qui leur garantissait un approvisionnement gratuit en armes. Cela ne plut pas aux Britanniques. Lorsque le général Ettore Musco, qui succéda à Broccoli à la tête du SIFAR se rendit en Angleterre pour visiter le Fort Monckton, l’accueil fut particulièrement froid : « En 1953, les Britanniques, furieux de s’être fait rouler, reprochèrent au général Musco que 'son service se soit livré corps et âme aux Américains' » [40].

L’Italie ne fut pas le seul théâtre de cette lutte entre la CIA et le MI6 pour accroître leurs sphères d’influence respectives. Fin 1990, ayant appris l’existence du réseau secret, le ministre de la Défense belge Guy Coëme expliqua que « les relations entre les services du renseignement britannique et belge remontaient aux contacts établis par M. Spaak et le chef des services de renseignement du Royaume-Uni [Menzies] et à un arrangement conclu entre les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Belgique » [41] Ce ménage à trois avait aussi ses inconvénients, le MI6 et la CIA voulant tous deux s’assurer que la Belgique ne privilégierait pas l’un au détriment de l’autre. Le patron du MI6 Steward Menzies écrivit alors au Premier ministre belge de l’époque Paul Henri Spaak une lettre datée du 27 janvier 1949 : « J’ai eu le plaisir de pouvoir m’entretenir personnellement avec vous de certains sujets concernant nos pays respectifs que je considère comme primordiaux et qui m’ont particulièrement préoccupé ces derniers temps ». À la suite de quoi, Menzies insistait sur la nécessité d’intensifier la collaboration « sur la question du Kominform et de possibles activités hostiles » et de commencer « à concevoir des organisations de renseignement et d’action utiles en cas de guerre ». Plus précisément, « certains officiers devraient se rendre au Royaume-Uni dans les mois qui viennent afin d’étudier, en collaboration avec mes services, les aspects concrets de ces questions ». Très inquiet à l’idée que Spaak préfère traiter avec la CIA plutôt qu’avec le MI6, Menzies souligna qu’il avait « toujours considéré la participation des États-uniens à la défense de l’Europe de l’Ouest comme capitale » mais qu’il restait convaincu que « les efforts de tous, y compris ceux des Américains, doivent s’inscrire dans un ensemble cohérent. Par conséquent, si les États-Unis devaient poursuivre, conjointement avec [les services belges], des préparatifs en vue de faire face à une guerre, [il jugeait] essentiel que ces activités soient coordonnées avec les [siennes] » et savait qu’il pouvait compter sur la compréhension du Premier ministre belge.

À la suite de quoi, Menzies évoquait le CCWU, le Comité Clandestin de l’Union Occidentale, créé en 1948 et qui dirigea les opérations de guerre non conventionnelle, jusqu’à ce que soit signé, en 1949, le Traité de l’Atlantique Nord et que l’OTAN prenne alors en charge la coordination du réseau Gladio. « Une telle coopération », insistait le Britannique dans sa lettre à Spaak, « permettra avant tout d’éviter des complications avec les chefs de l’état-major de l’Union occidentale. J’ai d’ores et déjà indiqué au chef des services américains que je suis prêt à élaborer des plans pour établir le cadre d’une coopération approfondie avec lui sur cette base, c’est pourquoi je suggère que tous les projets formulés par eux soient soumis à Washington avant d’être discutés à Londres par les services américains et britanniques. » Menzies faisait également remarquer que le Gladio belge devait s’équiper et précisait à ce sujet : « Les demandes en formation et en matériel devront bientôt être formulées. J’ai déjà ordonné la construction de certaines installations destinées à l’entraînement des officiers et de personnes recommandées par la direction de vos services secrets et je serai en mesure de vous procurer les équipements actuellement en cours de production (comme les talkies-walkies) qui seront nécessaires aux opérations clandestines dans un futur proche. » Selon le patron du MI6, une partie de ce matériel pourrait être fournie gracieusement au Gladio belge tandis qu’une autre devait être achetée : « Ces équipement spécialisés pourront être cédés ou loués mais, en ce qui concerne le matériel plus traditionnel (comme des armes légères ou d’autres fournitures militaires), je suggère que les tarifs fassent l’objet de négociations à l’amiable entre les services belges et britanniques ». Il va sans dire que la mise en place du Gladio belge devait se faire dans le plus grand secret, cependant, Menzies précisait tout de même à la fin de sa lettre :« Je sais qu’il est inutile de vous rappeler que ce courrier doit rester hautement confidentiel et ne saurait être divulgué à un tiers sans nos consentements respectifs préalables » [42]

Deux semaines plus tard environ, Spaak répondit à Menzies par une autre lettre dans laquelle il se réjouissait de recevoir l’aide des Britanniques tout en indiquant que les États-uniens avaient également approché les autorités belges à ce sujet et qu’il jugeait donc préférable que Washington et Londres règlent d’abord le problème entre elles. « Je conviens tout à fait », écrivait le Premier ministre belge, « qu’une collaboration des trois services (britanniques, américains et belges) serait extrêmement profitable. » Conscient de la concurrence opposant la CIA et le MI6, Spaak ajoutait : « Si des deux services, américain et belge, l’un venait à rejeter cette collaboration, les services belges se trouveraient dans une situation extrêmement délicate et difficile. C’est pourquoi il me semble que des négociations s’imposent au plus haut niveau entre Londres et Washington afin de régler cette question. » [43]

En Norvège, le patron des services secrets Vilhelm Evang fut l’artisan à la fois de la fondation du réseau stay-behind et de la création de la première agence de renseignement du pays, le Norwegian Intelligence Service ou NIS. Ce diplômé de sciences originaire d’Oslo avait rejoint le petit noyau chargé du renseignement au sein du gouvernement norvégien exilé à Londres en 1942. De retour dans son pays, Evang qui avait établi d’excellentes relations avec les Britanniques fonda en 1946 le NIS qu’il dirigera pendant 20 ans. Les écrits du Norvégien nous apprennent qu’il rencontra en février 1947 un officier du MI6 britannique dont nous ignorons le nom mais « bien introduit dans les hautes sphères de l’armée et de la Défense. Les inquiétudes des Anglais les ont amenés à s’intéresser de près aux stratégies de défense dans les pays sous occupation ennemie. Il semble que les Pays-Bas, la France et la Belgique soient engagés dans des processus d’installation de structures nécessaires à une armée clandestine. » [44]

Dans la Suède voisine et supposée neutre, les Britanniques, avec l’aide de la CIA, jouèrent un rôle prépondérant dans la formation des dirigeants du Gladio local. C’est ce que révéla Reinhold Geijer, un ancien militaire de carrière suédois qui avait été recruté en 1957 par le réseau Gladio local et qui en commanda une division régionale pendant plusieurs décennies. En 1996, Geijer, qui allait alors sur ses 80 ans, raconta devant les caméras de la chaîne suédoise TV 4 comment les Britanniques l’avaient initié aux opérations clandestines en Angleterre. « En 1959, après une escale à Londres, je me rendis dans une ferme dans la campagne près d’Eaton. Mon voyage s’effectuait dans la plus absolue confidentialité, j’utilisais par exemple un faux passeport. Je n’étais même pas autorisé à téléphoner à ma femme », témoignait Geijer. « Le but de cet entraînement était d’apprendre à utiliser des techniques boîtes aux lettres mortes pour recevoir et envoyer des messages secrets, et d’autres exercices à la James Bond. Les Britanniques étaient particulièrement exigeants. J’avais parfois l’impression qu’on en faisait trop. » [45]

Tandis que les armées secrètes étaient découvertes dans toute l’Europe de l’Ouest fin 1990 et que les projecteurs étaient braqués sur l’Angleterre et sur le rôle qu’elle avait joué en sous-main, le gouvernement de John Major refusait obstinément de s’exprimer. « Nous ne parlons pas des questions relatives à la Sécurité nationale », répondaient inlassablement les porte-parole aux questions virulentes des journalistes britanniques [46] Le Parlement britannique ne vit pas la nécessité d’ouvrir un débat public ou une enquête officielle sur le sujet, inspirant, à l’été 1992, cette critique du journaliste Hugh O’Shaughnessy : « Le silence de Whitehall et l’absence quasi-totale de curiosité dont ont fait preuve les parlementaires sur une affaire dans laquelle la Grande-Bretagne est si profondément impliquée sont extraordinaires » [47] La BBC se chargea donc de conclure que : « Le rôle joué de la Grande-Bretagne dans la création d’armées stay-behind à travers l’Europe [avait été] fondamental ». Dans son édition du soir du 4 avril 1991, la chaîne insista sur la dimension criminelle des armées secrètes et déclara : « Le masque est tombé, il cachait bien des horreurs ».

La BBC découvrit que parallèlement à leur fonction stay-behind, les armées secrètes s’étaient également livrées à une entreprise de manipulation politique : « À l’image du glaive antique, l’histoire du Gladio moderne est à double tranchant ». Le documentaire posait toute une série de questions : « Le Gladio était-il, avec ses réserves secrètes d’armes et d’explosifs utilisés par ses inspirateurs, [un instrument] de subversion interne contre la gauche ? Les agents de l’État se sont-ils rendus coupables d’attentats terroristes ? » Et quel fut le rôle exact de la Grande-Bretagne ? Le parlementaire italien Sergio de Julio déclarait face aux caméras : « Nous avons des preuves attestant que, dès la création de Gladio, des officiers furent envoyés en Angleterre pour suivre un entraînement. Ils étaient chargés de constituer les premiers noyaux de l’organisation Gladio. C’est donc bien la preuve, disons, d’une coopération entre le Royaume-Uni et l’Italie. » [48]

Le journaliste de la BBC Peter Marshall interrogeait ensuite le général italien Gerardo Serravalle, qui avait dirigé le Gladio italien entre 1971 et 1974, sur le rôle joué par les Britanniques. Serravalle confirma l’existence d’une collaboration étroite : « J’ai invité [les Britanniques] car nous avions été conviés à visiter leurs bases en Angleterre - les infrastructures stay-behind - je leur ai donc rendu la politesse ». Marshall lui demanda alors : « Où se trouve le centre du réseau britannique ? », ce à quoi le général italien répondit : « Je suis désolé mais je ne vous le révèlerai pas, car cela relève du secret-défense de votre pays ». Puis, le journaliste posa une question à laquelle il pouvait raisonnablement espérer une réponse : « Mais étiez-vous impressionné par les Britanniques ? », ce à quoi Serravalle répondit par l’affirmative : « Oui, nous l’étions car c’est [sic] très efficace, extrêmement bien organisé et qu’il y avait d’excellents éléments » [49]

Un an plus tard, la BBC s’intéressa à nouveau à l’affaire Gladio en diffusant une excellente série de trois documentaires d’Allan Francovich consacrés au sujet. Le réalisateur n’en était pas à son coup d’essai puisque c’est lui qui, en 1980, avait remporté le prix de la critique internationale du Festival de Berlin pour son film On Company Business, qui révélait le côté obscur de la CIA. Après son enquête sur Gladio, il réalisa The Maltese Double Cross où il démontrait les connections entre le crash du vol 103 de la PanAm près de Lockerbie en 1988 et la destruction par erreur la même année d’un appareil d’Iran Air par le vaisseau états-unien USS Vincennes. « Très rares sont ceux qui luttent inlassablement pour la vérité, quitte à se mettre personnellement en danger, comme le fit Francovich », rappela Tam Dalyell après la mort de son ami, décédé d’une crise cardiaque dans des circonstances troubles, dans la zone d’attente de l’aéroport de Houston, le 17 avril 1997 [50].

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Sir John Sawers a dirigé la guerre secrète en Bosnie, au Kosovo, en Afghanistan et en Irak. Directeur du MI6 depuis 2009, il commande les opérations stay-behind en Europe.

Reposant principalement sur des entretiens, les documentaires réalisés par Francovich pour la BBC se consacraient presque exclusivement aux réseaux Gladio belge et italien. Ils comportaient les témoignages d’acteurs aussi importants que Licio Gelli, chef du P2, l’activiste extrême droite Vincenzo Vinciguerra, le juge vénitien et « découvreur » du Gladio Felice Casson, le général Gerardo Serravalle, commandant du Gladio italien, le sénateur Roger Lallemand, qui présida la commission d’enquête parlementaire belge, Decimo Garau, ancien instructeur de la base de Gladio en Sardaigne, l’ex-directeur de la CIA William Colby et Martial Lekeu, un ancien membre de la Gendarmerie belge, pour ne citer qu’eux [51].

« Toute l’entreprise stay-behind ne visait, selon moi, qu’à garantir que si le pire se produisait, si un parti communiste accédait au pouvoir, il se trouverait des agents pour nous en avertir, pour suivre de près les événements et nous les rapporter », expliquait Ray Cline, directeur adjoint de la CIA de 1962 à 1966, devant la caméra de Francovich. « Il est probable que des groupuscules d’extrême droite furent recrutés et intégrés au réseau stay-behind afin de pouvoir nous prévenir si une guerre se préparait. Dans cette optique, l’utilisation d’extrémistes de droite, à des fins de renseignement et non politiques, me semble ne poser aucun problème », poursuivait Cline [52] Le lendemain, on pouvait lire dans la presse anglaise : « C’était l’un de ces scandales dont on pense qu’il peut faire tomber un gouvernement, mais, l’amnésie des téléspectateurs étant ce qu’elle est, il n’en reste qu’un entrefilet dans les journaux du lendemain » [53].
Daniele Ganser

Cet article constitue le quatrième chapitre des Armées secrètes de l'OTAN
© Version française : éditions Demi-lune (2007).

[1] Denna Frank Fleming, The Cold War and its Origins 1917–1960 (New York, 1961), p.4.

[2] Voir Fleming : Cold War.

[3] Chiffres indiqués par Andrew Wilson, Das Abrüstungshandbuch : Analysen, Zusammenhänge, Hintergründe (Hoffmann und Campe, Hambourg, 1984), p.38. Pertes américaines : 300 000 soldats tués, 600 000 blessés. Aucune victime civile. Bilan total des morts de la Seconde Guerre mondiale : 60 millions (ibid.).

[4] Valentin Falin, Zweite Front. Die Interessenkonflikte in der Anti-Hitler-Koalition (Bömer Knaur, Munich, 1995).

[5] Mackenzie, W. J. M., History of the Special Operations Executive : Britain and the resistance in Europe (British Cabinet Office, Londres, 1948), p.1153 and 1155. L’original du Bureau des Archives Publiques de Londres n’a toujours pas été publié, il le sera prochainement chez Frank Cass.

[6] Mackenzie, Special Operations Executive, p.2.

[7] Un vétéran du SOE, le lieutenant-colonel Holland, « un agent doté d’une expérience en matière d’opérations clandestines en Irlande et en Inde ... et d’une conviction profonde de leur utilité et de leur intérêt ». Extrait de Mackenzie, Special Operations Executive, p.9.

[8] Parallèlement à la section D du MI6, deux autres organisations de subversion furent fondées en 1938. L’une était rattachée au haut commandement du ministère de la Guerre : le GS(R), plus tard rebaptisé MI(R), qui se consacrait à l’études des techniques de guerre non-conventionnelle. La seconde, baptisée EH d’après le nom du bâtiment abritant son quartier général londonien, Electra House, était spécialisée dans la propagande « noire » (anonyme) en Europe. Voir David Stafford, Britain and European Resistance 1940–1945 : A survey of the Special Operations Executive (St Antony’s College, Oxford, 1980), p.19–21.

[9] Tony Bunyan, The History and Practice of the Political Police in Britain (Quartet Books, Londres, 1983), p.265.

[10] Peter Wilkinson, Foreign Fields : The Story of an SOE Operative (London Tauris Publishers, Londres, 1997), p.100.

[11] Imperial War Museum London, visité par l’auteur en mai 1999.

[12] Wilkinson, Fields, p.101.
[13] Stafford, Resistance, p.20.

[14] Lettre du ministre Hugh Dalton au ministre des Affaires étrangères Halifax datée du 2 juillet 1940. Extrait de M. R. D. Foot, An outline history of the Special Operations Executive 1940–1946 (British Broadcasting Cooperation, Londres, 1984), p.19.

[15] « Background Document File N°0391 : GLADIO », Statewatch, Janvier 1991. Sur le rôle de Gubbins, voir également le périodique belge Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, septembre/ octobre 1991, p.77.

[16] E. H. Cookridge, Inside SOE. The Story of Special Operations in Western Europe 1940–45 (Arthur Barker Limited, Londres, 1966), p.13.

[17] Mackenzie, Special Operations Executive, p.1152.

[18] Ibid., p.1153 and 1155.

[19] Stafford, Resistance, épilogue p.203.

[20] Frans Kluiters, De Nederlandse inlichtingen en veiligheidsdiensten (1993), p.309.

[21] Stafford, Resistance, conclusion p.211.

[22] Frank Wisner est le père de Frank Wisner Jr., lui même beau-père par alliance de Nicolas Sarkozy, Ndlr.

[23] Roger Faligot et Rémi Kauffer, Les maîtres espions. Histoire mondiale du renseignement. Volume 2. De la Guerre froide à nos jours (Editions Laffont, Paris, 1994), p.53.

[24] Michael Smith, New Cloak, Old Dagger : How Britain’s Spies Came in from the Cold (Gollancz, Londres, 1996), p.117. Basé sur des entretiens avec Simon Preston le 11 octobre 1995 et Michael Giles le 25 octobre 1995.

[25] Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé sur BBC2 le 10 juin 1992.

[26] Michael de la Billiere, Looking for Trouble : SAS to Gulf Command - The Autobiography (HarperCollins, Londres, 1994), p.150. Cette autobiographie de Billière comporte le récit de son expérience au SAS.

[27] Agence de presse internationale Associated Press, 14 novembre 1990.

[28] The Unleashing of Evil, réalisé par Richard Norton Taylor, qui couvrit les révélations de 1990 sur Gladio pour le Guardian. Diffusé le 29 juin 1988 sur la BBC. Révélation du Guardian le même jour : « ‘British soldiers used torture’ ».

[29] Un officier du SAS à l’éminent journaliste d’investigation John Pilger. Quotidien britannique The Guardian, du 16 octobre 1990. En 1986, l’avocat au Congrès Jonathan Winer révéla que les USA avaient financé Pol Pot à hauteur de 85 millions de dollars entre 1980 et 1986 selon la logique voulant que les ennemis de mes ennemis sont mes amis, provoquant la fureur de l’administration Reagan. (John Pilger dans le quotidien britannique The Guardian, 6 octobre 1990). L’embarras était comparable en Grande-Bretagne. En 1990, le Premier ministre Margaret Thatcher nia toute implication britannique dans la formation des escadrons de Khmers rouges, malgré les témoignages apportés par des officiers du SAS. En 1991, au cours d’un procès en diffamation intenté impliquant John Pilger, le ministère de la Défense dut finalement reconnaître que la Grande-Bretagne avait contribué à l’entraînement des partisans des Khmers rouges (Le quotidien britannique The Guardian du 20 avril 1993).

[30] Joseph Paul de Boucherville Taillon, International Cooperation in the Use of elite military forces to counter terrorism : The British and American Experience, with special reference to their respective experiences in the evolution of low intensity operations (1992), p.200 (Thèse de doctorat à la London School of Economics and Political Science, non publiée). Lettre de Carver à Boucherville Taillon, datée du 24 décembre 1985.

[31] Périodique britannique Lobster, décembre1995.

[32] Mensuel britannique Searchlight, janvier 1991.

[33] Richard Norton-Taylor, « UK trained secret Swiss force » dans le quotidien britannique The Guardian du 20 septembre 1991.

[34] Urs Frieden, « Die England Connection. PUK EMD : P26 Geheimarmist Hürlimann im Manöver » dans l’hebdomadaire suisse Wochenzeitung, 30 novembre 1990.

[35] Schweizer Bundesrat : Schlussbericht in der Administrativuntersuchung zur Abklärung der Natur von allfälligen Beziehungen zwischen der Organisation P26 und analogen Organisationen im Ausland. Kurzfassung für die Oeffentlichkeit. 19 septembre 1991, p.4–5.

[36] Ibid., p.2.

[37] Périodique britannique Searchlight, janvier 1991.

[38] La lettre de Broccoli datée du 1er octobre 1951 et intitulée Organizzazione informativa operativa nel territorio nazionale suscettibile di occupazione nemica est un document essentiel dans l’affaire Gladio. La commission parlementaire italienne y fait référence. On y trouve un bon résumé dans Mario Coglitore, La notte dei Gladiatori. Omissioni e silenzi della Repubblica (Calusca Edizioni, Padoue, 1992), p.132–133. Le magazine politique italien Espresso, qui s’est procuré le document original, en cite de nombreux passages dans son édition du 18 janvier 1991.

[39] Coglitore, Gladiatori, p.133.

[40] Pietro Cedomi, « Service secrets, guerre froide et ‘stay-behind. 2e partie’ : La mise en place des réseaux » dans le périodique belge Fire ! Le Magazine de l’Homme d’Action, septembre/octobre 1991, p.80.

[41] Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin 1992 sur BBC2.

[42] Enquête parlementaire sur l’existence en Belgique d’un réseau de renseignements clandestin international, rapport fait au nom de la commission d’enquête par MM. Erdman et Hasquin. Document Sénat, session de 1990–1991. Bruxelles, p.212–213.

[43] Ibid., p.213. Également cité dans le quotidien britannique The Observer du 7 juin 1992.

[44] Extrait de Olav Riste, The Norwegian Intelligence Service 1945–1970 (Frank Cass, Londres, 1999), p.16.

[45] Thomas Kanger et Oscar Hedin, « Erlanders hemliga gerilla. I ett ockuperat Sverige skulle det nationella motstandet ledas fran Äppelbo skola i Dalarna » dans le quotidien suédois Dagens Nyheter du 4 octobre 1998.

[46] Quotidien britannique The Guardian du 14 novembre 1990.

[47] Hugh O’Shaughnessy, « Gladio : Europe’s best kept secret ». Ces agents étaient censés rester derrière les lignes ennemies en cas d’invasion de l’Europe de l’Ouest par l’Armée rouge. Mais ce réseau mis en place avec les meilleures intentions dégénéra dans certains pays en instrument du terrorisme et de l’agitation politique d’extrême droite dans le quotidien britannique The Observer, du 7 juin 1992.

[48] Télévision britannique. BBC Newsnight, 4 avril 1991, 22 h 30. Reportage sur Gladio par le journaliste Peter Marshall.

[49] Ibid.

[50] Rubrique nécrologique du quotidien britannique The Independent du 28 avril 1997.

[51] Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin sur la BBC ; Gladio : The Puppeteers. Second des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 17 juin 1992 sur BBC2 ; Gladio : The Foot Soldiers. Dernier des trois documentaires de Francovich consécrés au Gladio, diffusé le 24 juin 1992 sur BBC2.

[52] Allan Francovich, Gladio : The Ringmasters. Premier des trois documentaires de Francovich consacrés au Gladio, diffusé le 10 juin 1992 sur BBC2.

[53] Quotidien britannique The Times du 28 juin 1992.